Enquête sur le rôle de l'Aide juridique Ontario dans le financement de la défense au criminel de Richard Wills
« Le fiasco de l'affaire Wills »
André Marin
Ombudsman de l'Ontario
février 2008
Contributeur(trice)s
Directeur, Équipe d'intervention spéciale de l'Ombudsman (EISO)
Enquêteuse principale
Enquêteur(euse)s
- Elizabeth Weston
- Ciaran Buggle
- Rosie Dear
- Grace Chau
Agent de règlement préventif
Avocate principale
Table des matières
1 L’histoire que voici retrace une succession de pertes. Les pertes ont commencé très tôt dans cette triste saga, par le meurtre insensé de Linda Mariani, tuée par Richard Wills, son amant de longue date. Après avoir donné la mort à Linda Mariani, Richard Wills a placé son corps dans une poubelle de 60 gallons qu’il a cachée pendant trois mois derrière un faux mur dans son sous-sol. À cette perte de vie est venue s’ajouter une perte d’espoir, car Richard Wills a laissé s’interroger sur sort de Linda Mariani tous ceux et celles qui l’aimaient.
2 Les pertes se sont manifestées sous une autre forme dans l’affaire Wills – soit sous la forme des coûts faramineux de la défense de M. Wills, financée par les fonds publics, après son accusation.
3 On peut dire à juste titre que la défense de Richard Wills était absurde. Absurde, à bien des niveaux.
4 Cette défense était absurde d’emblée. M. Wills a demandé aux jurés de croire que Mme Mariani était morte d’une chute accidentelle et qu’il avait caché son corps pour lui faire une dernière faveur, lui épargnant ainsi l’indignité d’être enterrée dans le mausolée de la famille de son mari. Il a déclaré qu’il essayait tout simplement de respecter le voeu de celle-ci, qui était d’être enterrée près du chalet dont il était propriétaire à Wasaga Beach. L’absurdité de cette défense est apparue plus éclatante encore quand on a découvert l’arme du meurtre – le bâton de baseball avec lequel il avait matraqué la victime – et qui avait été dissimulée avec le corps, dont le cou était étranglé par une corde à sauter. Mais notre système judiciaire accorde à tout accusé le droit de présenter une défense, et M. Wills avait donc le droit de comparaître au tribunal. En fait, il est comparu de nombreux jours – 293 jours, pour être exact : 65 jours d’audiences préliminaires, 144 jours consacrés aux questions préparatoires au procès et 84 jours de procès.
5 Mais cette enquête ne porte pas sur l’intégrité de la défense de M. Wills – que le jury a rejetée – ni même sur la longueur absurde de sa cause au tribunal. L’élément absurde de la défense qui me préoccupe, c’est son coût révoltant. Aide juridique Ontario avait estimé que la défense de M. Wills coûterait 50 000 $. Mais quand tout a été terminé, l’addition s’est élevée à plus d’un million.
6 Comment en est-on arrivé là? Comment les dépenses se sont-elles multipliées de 20 fois par rapport au coût ordinaire d’un procès de la sorte qui serait financé par l’État? Disons simplement que la main droite ignorait ce que faisait la main gauche. La main droite de la Justice (la main qui tient l’épée, représentée par les juges, les poursuivants et le Procureur général de l’Ontario) ignorait que la main gauche (la main qui tient la balance, dans ce cas Aide juridique Ontario) négligeait sa responsabilité d’examiner et de valider la facturation des avocats rémunérés par l’État qui étaient au service de M. Wills. Aide juridique Ontario a décidé d’approuver la facturation de ceux-ci aussi longtemps que les calculs étaient corrects, et ceci sans aucun budget et sans aucun plafond de dépenses, aussi extravagants que soient les montants facturés ou aussi inutile que soit le travail. Pis encore, cet organisme a amené les juges, les poursuivants et le ministère du Procureur général à croire que tout le processus était bien en main, alors qu’il n’en était rien. En fait, Aide juridique Ontario a donné « carte blanche et chèque en blanc » à la défense de M. Wills.
7 Au moment de la disparition de Mme Mariani, M. Wills était un homme aisé. Il était propriétaire ou copropriétaire de cinq propriétés, avait plus de 70 000 $ d’épargnes-retraite, ainsi que deux voitures complètement payées. Il occupait aussi un poste bien rémunéré, étant depuis 25 ans officier de la Police de Toronto. M. Wills était alors bien plus en mesure de se payer un avocat et de se défendre que la plupart des gens. Mais il a vite eu des revers de fortune, qu’il a lui même causés. Au cours des 15 mois qui ont suivi, il a transféré progressivement tous ses avoirs et tous ses revenus à sa famille, avant de lancer appel à la bienveillance du public pour obtenir le financement de sa défense.
8 La manière dont M. Wills a commencé à se défaire de ses avoirs a débuté innocemment en apparence. Un mois après la disparition de Mme Mariani, M. Wills a signé un accord de séparation avec son ex-épouse. Les modalités de cet accord n’avaient rien de remarquable. M. Wills s’engageait à faire un paiement de péréquation ainsi que des versements mensuels de pension alimentaire qui cadraient avec les normes de personnes disposant de moyens comparables.
9 Mais le 4 juin 2002, soit la veille de son arrestation, les faits sont devenus extrêmement troublants. M. Wills a effectué un retrait massif de sa ligne de crédit et il a transféré 120 000 $ à sa femme (y compris l’argent emprunté). Deux jours plus tard, il lui a transféré un intérêt qu’il avait dans une propriété et auquel elle avait précédemment renoncé.
10 Ensuite, il a retenu les services de deux avocats prestigieux, et très coûteux, Timothy et Peter Danson. Puis il est allé au poste de police où il a essayé de bluffer les policiers à propos de ce qui était arrivé à Mme Mariani. La police n’a pas mordu à l’hameçon. Elle l’a accusé de meurtre au deuxième degré.
11 Au cours des six mois qui ont suivi, Richard Wills a payé un total de 30 000 $ à ses avocats. Quand l’accusation a été amendée à meurtre au premier degré, il les a renvoyés sans cérémonie, gaspillant véritablement tout l’argent qu’il avait dépensé à la préparation de sa défense.
12 Les Danson n’ont été que les premiers de toute une succession d’avocats retenus puis rejetés par Richard Wills dans son long cheminement jusqu’à sa condamnation. Après avoir rompu avec les Danson, Richard Wills s’est tourné vers la firme du célèbre avocat Eddie Greenspan et a engagé le principal associé de M. Greenspan, M. Todd White. Chose remarquable, cette relation a duré jusqu’à la fin de l’été 2003.
13 Nous ignorons pourquoi M. Wills s’est débarrassé de M. White. Mais nous savons que quand il l’a fait, il avait transféré presque toute sa richesse à son épouse, dont il était séparé. Désormais, M. Wills était un homme aux moyens modestes, aux lourdes obligations de pension alimentaire, qui était dans l’incapacité de payer un avocat. M. Wills a donc fait une demande d’aide juridique. Peu après, il a limogé M. White, qui avait facturé 40 000 $ de travail sur les 50 000 $ que M. Wills lui avait versés en acompte. Quand M. White a renvoyé les 10 000 $ restants à M. Wills, ce dernier les a donnés à son ex-épouse.
14 Il n’est donc pas surprenant que les responsables d’Aide juridique Ontario n’aient guère été impressionnés par la demande de M. Wills. Il avait fait don de tous ses biens et il disait maintenant « financez-moi, parce que je n’ai rien ». Ils lui ont répondu qu’ils étaient prêts à lui accorder le montant généralement dépensé par une personne à revenus modiques, dans une position similaire, mais qu’il devrait rembourser par des versements de 500 $ par mois. M. Wills a refusé et il a alors demandé au tribunal de nommer un avocat pour le défendre. Mais le tribunal a refusé de l’aider à obtenir gratuitement les services d’un avocat, alors M. Wills a décidé qu’il irait à son enquête préliminaire sans représentation et qu’il assurerait lui-même sa défense.
15 L’enquête préliminaire a été infernale, bien qu’un juge ait pris la mesure exceptionnelle de retenir les services d’un amicus curiae – littéralement un « ami de la cour » – c’est-à-dire un avocat dont le rôle était non pas de représenter M. Wills, mais d’aider le tribunal à s’assurer que les droits de M. Wills seraient bien respectés. La situation était ironique : Aide juridique Ontario avait refusé de payer un avocat à 92,34 $ de l’heure – mais les Services judiciaires payaient maintenant 200 $ de l’heure à un « ami de la cour ». Fondamentalement, les fonds étaient soutirés d’une poche pour que l’autre poche n’ait pas à les débourser.
16 Tout au long de la procédure judiciaire, M. Wills a fait preuve d’une conduite tapageuse. Bien que n’étant pas légalement aliéné, et bien que pleinement capable de subir un procès, il s’est comporté tout à fait anormalement. Il s’est montré grossier, enfantin. Pour ennuyer le juge, il se couchait sur le banc des accusés, rotait et pétait. Une fois, il est même allé jusqu’à enduire sa main d’excréments. Il a aussi pris pour habitude d’uriner dans les voitures de police qui le conduisaient au tribunal et l’en ramenaient. Il s’est montré insolent envers les témoins, les avocats et les juges, insensible aux avertissements et aux réprimandes du juge. En fin de compte, le juge a dû faire aménager une pièce séparée à l’extérieur de la salle du tribunal, d’où il pouvait voir le déroulement du procès par vidéoconférence.
17 Lorsqu’il a joué à l’avocat, M. Wills a questionné les témoins en faisant traîner les choses interminablement et en étant invariablement à côté de la question. Ses arguments et ses questions étaient décousus, incohérents. Il semblait davantage vouloir retarder et contrecarrer la procédure, au lieu de se défendre. Les choses ont tellement langui lors de l’enquête préliminaire qu’elle n’a jamais pris fin. Se prévalant d’un pouvoir rarement invoqué, le Procureur général l’a contraint à aller directement en procès après 65 jours de ce que le juge a déclaré être « une perte colossale » du temps du tribunal et des précieuses ressources judiciaires.
18 Après cette enquête préliminaire, il est clairement apparu que Richard Wills ne pouvait pas assurer sa défense devant un jury. Le juge Bryan Shaughnessy lui a donc enjoint de faire une nouvelle demande à Aide juridique Ontario.
19 Mais Aide juridique Ontario ne pouvait vraiment pas accepter le fait que M. Wills s’était débarrassé de ses avoirs, qui lui auraient permis de payer sa défense. Une fois de plus, Aide juridique Ontario a déclaré qu’il devrait accepter de faire des remboursements mensuels. Mais à cette époque, M. Wills, qui avait démissionné de la police, avait assigné toute sa pension à son ex-épouse. Il n’avait absolument aucun moyen de rembourser, a-t-il déclaré.
20 Le juge Shaughnessy a donc dû demander à un amicus curiae de faire, au nom de M. Wills, une requête d’ordonnance de type Rowbotham – c’est-à-dire une ordonnance judiciaire enjoignant au Procureur général de payer l’avocat de la personne qu’il poursuit. Le juge Shaughnessy a ensuite rendu cette ordonnance. En effet, les deux critères du test Rowbotham étaient remplis. Premièrement, M. Wills avait montré qu’il ne pourrait pas obtenir un procès équitable si on le laissait assurer sa propre défense devant un jury. Et deuxièmement, il n’avait pas les moyens de payer son propre avocat.
21 Toutefois, même avec une ordonnance indiquant que le Procureur général prendrait en charge ses frais juridiques, M. Wills n’a pas pu trouver d’avocat qui accepte de le représenter – en partie à cause de sa personnalité et en partie à cause du tarif horaire dérisoire d’Aide juridique Ontario, qui équivaut à peine au tiers des honoraires courants d’un avocat moyen. Après un certain temps, M. Wills a eu la chance de trouver une avocate chevronnée et respectée, Mme Cynthia Wasser, qui était prête à défendre sa cause – mais pas pour 92,34 $ de l’heure. À ce tarif, non seulement elle compromettrait ses propres revenus, mais elle parviendrait à peine à couvrir ses frais d’exercice. Le juge a alors pris une mesure tout à fait exceptionnelle et a rendu une ordonnance Fisher – enjoignant au Procureur général de payer des frais d’avocat supérieurs au tarif d’Aide juridique Ontario – dans ce cas, 200 $ de l’heure. Mme Wasser a obtenu le droit de commencer à étudier le dossier, et il a été entendu qu’un budget serait établi pour son mandat de représentation.
22 Quelques mois plus tard, Richard Wills a limogé Mme Wasser et sa coavocate. Ce n’était pas une question de compétences. Le problème était que Mme Wasser refusait de suivre les ordres de M. Wills. M. Wills a expliqué au juge qu’il avait renvoyé Mme Wasser parce qu’il ne voulait pas être « muselé » et voir sa défense « piratée ». Pour citer un avocat qui a ensuite représenté M. Wills, « [Mr. Wills] voulait que son avocat soit son porte-parole. » Tout avocat qui refusait d’agir comme le voulait M. Wills, même quand c’était complètement insensé, était limogé. L’équipe Wasser a donc disparu de la scène avant même le commencement des requêtes préalables au procès – mais pas avant d’avoir dépensé 77 375,00 $ de fonds publics engloutis vainement dans tout ce travail juridique.
23 M. Wills s’est mis à la recherche d’un nouvel avocat et finalement, après trois versions d’une lettre dans laquelle le ministère du Procureur général s’engageait à appliquer l’ordonnance Fisher de Mme Wasser au nouvel avocat de M. Wills, M. Munyonzwe Hamalengwa a accepté de se charger du dossier.
24 Lorsque M. Hamalengwa a envoyé sa première note d’honoraires en vue d’un règlement au ministère du Procureur général, il a détaillé son travail. Mais ces détails ont mis le Ministère mal à l’aise. En effet, le Procureur général poursuivait en justice le client de M. Hamalengwa et ne devait donc pas prendre connaissance du type de travail fait par sa défense. Il a donc demandé à M. Hamalengwa de ne soumettre au Ministère que les totaux de ses factures et d’envoyer les détails de ses activités à Aide juridique Ontario.
25 Il n’est pas inhabituel qu’Aide juridique Ontario surveille les comptes du Ministère pour des services rendus sur ordonnance judiciaire. Bien qu’Aide juridique Ontario soit une société privée et autonome, cet organisme a accepté par convention de faire l’examen approfondi des frais judiciaires payables par le Procureur général. À ce titre, cet organisme joue un rôle précieux en aidant à protéger le secret professionnel de l’avocat et en offrant son expertise d’examen des comptes.
26 Mais M. Hamalengwa s’est opposé à ce qu’Aide juridique Ontario valide ses comptes ou lui impose un budget. À son avis, l’ordonnance Fisher ne comprenait aucune disposition quant à l’intervention d’Aide juridique Ontario dans le processus. Il voulait donc avoir carte blanche pour faire ce qu’il voulait, à 200 $ de l’heure. Le Ministère a essayé de lui faire accepter que ses comptes soient soumis à l’examen d’Aide juridique Ontario, mais après avoir convenu de le faire tout en protestant pour sa première facture, il a tout simplement refusé. Il a alors envoyé sa facture sans détails. En cinq mois, il a demandé le paiement de 120 684,04 $ en honoraires et débours.
27 De plus en plus alarmé, le Ministère a demandé au juge qui avait rendu l’ordonnance Fisher de régler le problème. Le 6 juin 2006, le juge Shaughnessy a rendu une décision. Invoquant la nécessité de reddition de comptes relativement aux fonds publics, il a ordonné que l’avocat de M. Wills – M. Hamalengwa – rencontre Aide juridique Ontario pour s’entendre sur un budget qui corresponde aux modalités du programme de « Gestion des causes majeures » d’AJO. Le juge lui a enjoint de « soumettre tous ses comptes d’avocat et tous ses relevés de facturation à Aide juridique Ontario pour que le personnel les valide et les approuve ». M. Hamalengwa a fait objection, demandant au juge de clarifier ce qu’il entendait par « valider ». Le juge a répondu « examiner, calculer, vérifier que les calculs sont corrects » et il a assuré M. Hamalengwa qu’Aide juridique Ontario n’imposerait pas de camisole de force à la défense.
28 Le directeur de la Gestion des causes majeures (GCM), à Aide juridique Ontario, a envoyé une lettre à M. Hamalengwa, avec copie au personnel du Ministère et au juge, lui demandant de remplir les formulaires utilisés par ce programme pour établir un budget. Dans une autre lettre, il a avisé M. Hamalengwa que si sa facturation devait dépasser 75 000 $, il se pourrait qu’il soit convoqué au « Comité des exceptions ». Il a ensuite écrit à M. Hamalengwa pour l’inviter à une réunion afin de mettre ce budget en place.
29 En réponse, M. Hamalengwa a fourni un formulaire partiellement rempli. Le directeur de la GCM a continué de chercher à obtenir des détails pour mettre en place un budget, et ceci jusqu’au 17 août 2006, quand M. Hamalengwa lui a envoyé une lettre d’objection, avec à l’appui plusieurs passages tirés de la décision du juge Shaughnessy. Le directeur et M. Hamalengwa se sont rencontrés le lendemain et M. Hamalengwa est parvenu à persuader le directeur que le juge n’avait jamais eu pour intention de faire appliquer les méthodes de Gestion des causes majeures et qu’il n’était pas question d’établir un budget – le seul rôle d’Aide juridique Ontario était de vérifier les calculs, un point c’est tout.
30 Il est stupéfiant que le directeur de la GCM ait accepté que le rôle d’Aide juridique Ontario consiste simplement à vérifier les calculs. Il est effarant qu’il ait pris cette décision à partir d’une transcription partielle que lui montrait un avocat de toute évidence intéressé à minimiser les restrictions budgétaires. Et il est alarmant que cette décision soit allée à l’encontre de la nécessité d’un examen par un tiers indépendant – nécessité qui avait causé l’intervention d’Aide juridique Ontario. Ni le Ministère, ni le juge n’avaient suggéré au directeur que les efforts qu’il déployait pour tenter d’imposer un budget à M. Hamalengwa étaient déplacés. Peu importe l’angle sous lequel on la considère, la décision prise par lui témoigne d’un non-respect troublant pour un devoir clairement admis, ainsi que d’un manque de considération pour les fonds publics.
31 Je suis convaincu que la décision prise par Aide juridique Ontario d’approuver automatiquement les factures ne peut s’expliquer que par le ressentiment qu’avait cet organisme d’être mêlé à cette affaire en premier lieu. Ce ressentiment ressort clairement de ses documents internes, qui montrent bien le mécontentement d’avoir à accepter la responsabilité de valider les comptes du Ministère sans être rétribué. Pour être direct, disons qu’Aide juridique Ontario n’a jamais éprouvé le sentiment d’avoir l’obligation de faire le travail qui lui avait été confié; cet organisme croyait qu’on faisait appel à lui par courtoisie et c’était une faveur qu’il ne prenait pas au sérieux. Le contraste est puissant entre la manière dont Aide juridique Ontario veille à son propre budget et celle dont il a géré les fonds du Ministère dans cette affaire. Quand son propre budget est en jeu, Aide juridique Ontario protège scrupuleusement ses fonds en suivant des pratiques d’examen strictes qui comprennent toute la chaîne de commandes. Mais pour ces fonds du Ministère, cet organisme n’a fait preuve d’aucune vraie considération.
32 Aussi incompréhensible que puisse paraître la décision du directeur de la GCM, on aurait pu penser que ses supérieurs seraient intervenus pour la rectifier. Mais il n’en a rien été. Et notre enquête n’a pas pu déterminer qui au sein d’Aide juridique Ontario était au courant de la décision du directeur. Celui-ci nous a dit qu’il en avait discuté avec sa superviseure, la directrice des Services aux avocats et paiements à Aide juridique Ontario. Mais elle nous a déclaré qu’elle n’avait appris le fiasco du financement que le 31 mai 2007. Une chose est certaine : même si la version de la directrice est exacte, elle reflète une désorganisation troublante dans la structure de supervision. Aide juridique Ontario exigeait que tous les budgets approuvés dans le cadre de la Gestion des causes majeures aillent à la haute direction et pourtant, selon la directrice, toute une fortune en deniers publics a été approuvée par un cadre moyen, sans que la haute direction ne surveille ou ne s’inquiète.
33 Néanmoins, on pourrait croire que le Ministère serait intervenu quand le directeur de la GCM a informé les dirigeants ministériels de son changement d’opinion à propos du rôle d’Aide juridique Ontario. Mais il n’en a rien été – parce que le Ministère n’a rien appris de tout cela pendant plus de neuf mois. Le directeur de la GCM a décidé de ne rien lui en dire, par respect pour le secret professionnel de l’avocat, affirme-t-il.
34 Je veux bien accepter que le directeur de la GCM ait cru que le respect de l’information privilégiée l’ait empêché de divulguer ces renseignements. Mais toute suggestion de sa part disant que le secret professionnel de l’avocat l’a empêché de dire au Ministère comment il allait gérer les comptes est carrément absurde. Les communications entre un client et son avocat relèvent du secret professionnel. Les stratégies juridiques et le type de travail fait par l’avocat sont confidentiels. Mais une discussion tenue par un avocat à propos d’une ordonnance de financement avec la personne responsable de l’administration de cette ordonnance n’a absolument rien de confidentiel. Rien n’empêchait donc le directeur de la GCM de faire savoir au Ministère comment il comptait faire son travail. Et très certainement, rien ne l’empêchait d’obtenir des avis juridiques sur ce qu’il pouvait divulguer ou non. Mais il a décidé de s’en remettre à son propre jugement.
35 Ce n’est pas ce qu’il y a eu de plus préoccupant. En effet, non seulement le directeur de la GCM n’a pas fait savoir au Ministère qu’il avait changé de plan à propos de la mise en place d’un budget pour M. Hamalengwa, mais il a fait précisément le contraire : il a écrit au Ministère, en approuvant la facturation de M. Hamalengwa, pour dire :
Nous avons examiné les détails des comptes et nous avons déterminé que les comptes étaient valides, à la fois pour les honoraires et pour les débours, et c’est pourquoi nous vous recommandons de le payer comme convenu.
Veuillez noter que nous avons rencontré M. Hamalengwa pour discuter les lignes directrices de gestion et les exigences de budget pour le reste de l’affaire. (C’est nous qui soulignons.)
36 Cette remarque, et chacun des commentaires similaires faits par le directeur de la GCM à propos du total de 608 901,44 $ qu’il a approuvé au cours des 10 mois suivants, constituaient bel et bien un rapport trompeur sur lequel des gens raisonnables allaient se fier pour considérer qu’Aide juridique Ontario faisait effectivement son travail. Je ne peux pas reprocher au Ministère de ne pas avoir découvert ce qui se passait : il faisait confiance à Aide juridique Ontario pour effectuer le genre d’examen dont cet organisme s’était si souvent chargé de par le passé – et cette confiance provenait à la fois de l’historique de l’organisme et des déclarations trompeuses du directeur de la GCM.
37 Lors du procès de M. Wills, la juge Michelle Fuerst avait dû faire face à une succession de requêtes inutiles présentées par la défense, que l’amicus curiae Andras Schreck[1] a par la suite taxées de « frivoles ». C’était là une indication que personne ne surveillait de près les coûts de la défense.
38 Et puis, M. Wills a limogé M. Hamalengwa, larguant ainsi par-dessus bord tout le travail préparatoire que celui-ci avait fait. Le 18 mai 2007, il a proposé M. Raj Napal comme son nouvel avocat principal. La première mesure prise par M. Napal en tant qu’avocat de la défense a été d’informer la juge Fuerst que la défense appellerait à la barre 18 témoins experts, dont beaucoup allaient témoigner à propos de questions sans lien réaliste avec cette affaire. La juge s’est interrogée à haute voix sur le financement de la défense par les deniers publics et a recommandé l’austérité.
39 Au début du mois de juin, les choses ont empiré. Premièrement, M. Napal a contesté la déposition d’un expert en empreintes digitales qui devait identifier les empreintes laissées par M. Wills sur la poubelle contenant les restes de Mme Mariani – alors que M. Wills avait admis qu’il avait lui-même placé le corps dans ce contenant. Ensuite, la juge a appris qu’un étudiant qui faisait partie de l’équipe de défense avait engagé un ami d’enfance, pour une somme de 13 000 $, et l’avait chargé de préparer un diaporama des photos de la scène du crime, comprenant de nombreuses photos de la dépouille de Mme Mariani. La juge était profondément troublée par le gaspillage de fonds publics entraîné par cet exercice juridique futile, et a demandé des explications[2].
40 Le Ministère a découvert la méthode d’approbation automatique d’Aide juridique Ontario dans cette affaire le 31 mai 2007, et sa source d’information n’a été nul autre que le directeur de la GCM. Ce jour-là, le directeur a écrit à M. Napal qu’Aide juridique Ontario « validait simplement les comptes de l’avocat de la défense en vérifiant les calculs » et il a envoyé une copie de sa lettre au Ministère. Il a fait cette même divulgation oralement à Mme Kerry Lee Thompson, avocate de la Couronne au ministère du Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne – droit criminel. Mme Kerry Lee Thompson était la responsable au Ministère du paiement des comptes approuvés par Aide juridique Ontario. Elle a déclaré que cette nouvelle lui avait donné la nausée, sensation qui avait été fort probablement renforcée par le fait que le directeur de la GCM lui ait annoncé que les frais s’élevaient jusqu’alors à plus d’un demi-million de dollars.
41 Ayant appris cette terrible vérité, le Ministère est passé rapidement à l’action. Soucieux de mettre fin à cette hémorragie de fonds, il a communiqué avec le juge Shaughnessy, qui a déclaré être « choqué », « atterré » et « découragé » par ce qu’il a appelé « l’abandon d’une fonction aussi importante » par Aide juridique Ontario. Il a déclaré que c’était « honteux » que son ordonnance n’ait pas été exécutée. Dans les semaines qui ont suivi, un budget a été établi et des contrôles financiers ont été instaurés.
42 Ce n’est qu’après la fin du procès que certains détails du financement de la défense de M. Wills ont été rendus publics. En raison de la couverture de presse, une enquête publique a été réclamée et une plainte officielle a été déposée à mon Bureau. L’affaire était devenue politique et le gouvernement était appelé à rendre des comptes. En réponse, le nouveau procureur général, Christopher Bentley, a annoncé qu’Aide juridique Ontario travaillait à un protocole de réexamen des comptes juridiques payés par le Ministère et que ce processus serait accéléré.
43 Quand le Ministère a pris en main ce protocole, il a très vite découvert ce qui avait mené, selon moi, au fiasco de l’affaire Wills. Au départ, Aide juridique Ontario avait tenté de résister au principe avancé par le Ministère voulant que sa loi, la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique, constitue un « code complet pour l’évaluation et le paiement des fonds publics dans les affaires criminelles et civiles ». Aide juridique Ontario avait considéré que son rôle était uniquement un rôle d’aide juridique, et ne couvrait pas le règlement de tous les comptes juridiques par les deniers publics. Cet organisme avait argumenté qu’il serait illégal pour lui de superviser les comptes du Ministère, en raison des limites statutaires de son mandat. Cet argument douteux n’était aucunement appuyé par la loi et était contredit par les pratiques en vigueur à Aide juridique Ontario. Il semblait avoir été présenté dans une toute dernière tentative de rejeter la responsabilité morale de l’affaire Wills. Mais rapidement, Aide juridique Ontario a été mieux avisée. Et une fois placée sous sa nouvelle haute direction, Aide juridique Ontario a accepté cette fonction. L’organisme s’est engagé à contribuer à l’obligation redditionnelle relative aux comptes du Ministère et à l’améliorer.
44 Ce nouveau protocole, maintenant en place, et le changement d’attitude à la haute direction d’Aide juridique Ontario sont tous deux louables. Le Ministère, tout comme les nouveaux dirigeants d’Aide juridique Ontario, méritent d’être félicités. Mais il faut faire plus pour réparer le fiasco de l’affaire Wills.
45 Premièrement, pour restaurer la confiance du public et pour s’assurer que les efforts d’amélioration d’Aide juridique Ontario se concrétisent avec efficacité, il faut que quelqu’un surveille les développements au sein de cet organisme, au nom du public. C’est pourquoi je recommande que les mesures prises par Aide juridique Ontario en vue de changements internes (Recommandation 1), de même que les résultats de son réexamen de l’affaire Wills (Recommandation 2), soient communiqués à mon Bureau, afin que je puisse faire des recommandations si ces développements ne sont pas satisfaisants et que je puisse au besoin faire rapport de nouveau aux contribuables de la province.
46 Deuxièmement, je recommande que les comptes juridiques de la défense qui ont été payés par l’État dans l’affaire Wills soient soumis à l’examen d’un agent d’évaluation de la Cour supérieure de justice de l’Ontario ou d’un autre fonctionnaire judiciaire, pour s’assurer que ces dépenses étaient pertinentes et raisonnables (Recommandation 3).
47 Troisièmement, et c’est le plus important, la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique devrait être modifiée pour imposer clairement à Aide juridique Ontario l’obligation légale de jouer le rôle de centre à guichet unique pour le règlement des comptes juridiques payables par la province en vertu d’une ordonnance judiciaire (Recommandation 6). Ce serait efficace et permettrait de gérer sagement les comptes. En outre, les avocats et les juges ne sont pas liés par l’accord entre Aide juridique Ontario et le Ministère; seul un texte de loi peut imposer un plan clair de gestion à tous, pour que ce plan devienne partie intégrante de toute ordonnance d’un tribunal relative aux frais juridiques. Et vu les événements de l’affaire Wills, ce dispositif devrait exiger l’obtention de l’approbation du tribunal pour que les accusés puissent changer d’avocats rémunérés par l’État. Je recommande que le Gouvernement me tienne informé de sa position sur cette recommandation (Recommandation 8).
48 Quatrièmement, comme l’a montré la saga Wills, le refus actuel de financer la défense d’un accusé qui s’est délesté de sa fortune peut de manière perverse entraîner des débours de fonds publics bien plus considérables, à la suite d’une ordonnance judiciaire, que les dépenses qui auraient été faites si Aide juridique Ontario avait donné son approbation au départ. La solution est qu’Aide juridique Ontario finance la défense, quand il le faut, et récupère son argent par la suite. C’est pourquoi je recommande que des dispositions légales soient instaurées pour décourager les demandeurs d’Aide juridique Ontario de transférer leurs biens et pour récupérer les fonds dans les cas où ceci se produit (Recommandation 7).
49 En ce qui concerne M. Wills, je reconnais tout comme le juge Shaughnessy que, durant les premières étapes du processus, il était disposé à financer sa défense, mais qu’en septembre 2003, soit avant l’ordonnance Rowbotham, il essayait clairement de se débarrasser des moyens de la payer. Il est parvenu à mettre de côté ses avoirs, tout en abusant de la générosité des contribuables. Il devrait rembourser à la province les frais juridiques gaspillés par sa cause. C’est pourquoi je recommande que le gouvernement prenne toutes les mesures possibles en ce sens (Recommandation 4).
50 Je recommande aussi que le Ministère me fasse rapport quant aux recommandations 3 et 4 (Recommandation 5).
51 Je comprends bien qu’il ne m’appartient pas de présenter des recommandations précises à propos de ce que j’appellerai « l’éléphant dans le magasin », ou la faille évidente du système – c’est-à-dire le tarif horaire inadéquat d’aide juridique qui contrecarre sans aucun doute un accès égal à la justice en Ontario. Le professeur Michael Trebilcock de la faculté de droit à l’Université de Toronto étudie actuellement la question. Toutefois, cette enquête montre amplement que si Aide juridique Ontario avait accordé des tarifs plus réalistes aux avocats à l’époque de l’affaire Wills, l’ordonnance Fisher qui a contribué à la flambée des coûts n’aurait peut-être pas été nécessaire.
52 À bien des égards, l’affaire Wills est le résultat d’une parfaite tempête de méfaits, de mauvais jugements et peut-être même de folie. Une tempête qui pourrait fort bien se répéter si la situation n’est pas rectifiée.
53 Dès le départ, les médias se sont intéressés à l’affaire Wills, en raison des personnalités en cause et des circonstances exceptionnelles et horribles du crime. Mais après la condamnation de M. Wills le 31 octobre 2007, les détails concernant les fonds publics consacrés à sa défense ont été rendus publics. Brusquement, l’attention s’est détournée de ce crime ignoble et de ce procès bizarre pour se porter sur le système d’aide juridique. Le public a voulu savoir pourquoi des sommes aussi considérables de l’argent des contribuables étaient allées à la défense d’un homme qui, peu de temps avant son arrestation, se vantait d’être un millionnaire qui avait réussi par ses propres moyens.
54 Très peu de temps après, mon Bureau a été appelé à étudier l’affaire. Nous avons reçu des plaintes de membres de l’Assemblée législative, et notamment du chef du Nouveau Parti démocratique. Le rôle d’Aide juridique Ontario, l’intégrité du système d’aide juridique et à vrai dire toute la réputation de l’administration de la justice en Ontario étaient remis en question. Même les juges qui prenaient part à l’affaire ont exprimé publiquement leurs inquiétudes quant à la manière dont les précieux fonds publics étaient utilisés et ont dit combien ils étaient indignés et offensés d’apprendre que la situation avait été si mal gérée. Ma décision de procéder à une enquête a été renforcée par les demandes d’enquête publique. J’estimais qu’il n’était pas de l’intérêt du public de faire appel à ce dernier processus, qui est long et coûteux, pour des problèmes qu’une enquête de l’Ombudsman pouvait régler. Le 6 novembre 2007, j’ai annoncé mon intention d’enquêter sur le rôle d’Aide juridique Ontario dans le financement des frais juridiques et des débours occasionnés par l’affaire Richard Wills.
55 J’ai confié l’affaire à l’Équipe d’intervention spéciale de l’Ombudsman (EISO). Un groupe de cinq enquêteurs et d’un agent de règlement préventif a mené l’enquête sur le terrain, avec l’aide de l’avocate principale. Ce groupe a interviewé les membres du personnel à Aide juridique Ontario et au ministère du Procureur général qui avaient eu directement ou indirectement affaire avec cette cause. Ce groupe a également interviewé les procureurs adjoints de la Couronne chargés des poursuites, l’avocat de M. Wills, un amicus curiae nommé par le tribunal, ainsi que des représentants de la Criminal Lawyers’ Association. À deux reprises, ils ont interviewé M. Wills au pénitencier de Kingston. De plus, ils ont interviewé le professeur Michael Trebilcock, dont les services ont été retenus par le ministère du Procureur général en août 2007 en vue d’un examen externe des questions d’ordre général relatives au système d’aide juridique en Ontario – examen dont les résultats sont à venir.
56 L’EISO a passé en revue des milliers de documents, dont environ 3 000 pages de documentation obtenues auprès d’Aide juridique Ontario, des dossiers du Ministère et 10 boîtes-classeurs de documents provenant de la Cour supérieure de justice. L’EISO a passé plusieurs jours au palais de justice de Newmarket, à examiner la documentation. Elle a aussi passé en revue les actifs de M. Wills et a fait des recherches de titres pour des propriétés qui étaient censées lui appartenir. Toutefois, ce processus a été freiné par le refus de M. Wills de communiquer des renseignements sur sa situation financière et par sa décision d’invoquer le privilège du secret professionnel de l’avocat pour protéger d’autres documents.
57 Notre équipe d’enquête a également communiqué avec plusieurs autres administrations au Canada pour voir comment elles traitent les causes où un tribunal a ordonné le financement par l’État d’un avocat de la défense dans une cause criminelle, en dehors du système d’aide juridique.
58 Nous avons bénéficié de la collaboration estimable du Ministère et d’Aide juridique Ontario. John McCamus, président d’Aide juridique Ontario, s’est rapidement engagé à nous appuyer et nous a fait savoir que son conseil d’administration entreprenait sa propre enquête sur cette affaire, nous invitant, nous et le professeur Trebilcock, à y participer.
59 Bien que la collaboration d’Aide juridique Ontario ait été exemplaire, nous avons dû surmonter un obstacle érigé par son avocate externe. Celle-ci s’inquiétait de l’obligation qu’a Aide juridique Ontario de ne pas divulguer de renseignements qui relèvent du secret professionnel des avocats en vertu de la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique. Cette avocate a tenté de protéger les renseignements privilégiés en assistant à nos entrevues avec les membres du personnel d’Aide juridique Ontario. Mais nous n’avons pas pu l’accepter, car l’intégrité de nos enquêtes dépend de notre capacité à interviewer les témoins en privé, en dehors de toute influence potentielle des avocats d’une partie intéressée. Dans un esprit de compromis, nous avons permis à Aide juridique Ontario d’engager un avocat indépendant pour chaque membre du personnel qui témoignait, tout en contestant la nécessité de le faire étant donné que la plupart des personnes que nous souhaitions interviewer étaient des avocats. Nous avons indiqué qu’à notre avis il n’était pas de l’intérêt public qu’Aide juridique Ontario fasse des dépenses considérables afin de retenir les services d’avocats pour d’autres avocats. En fin de compte, seuls les avocats d’Aide juridique Ontario ont retenu les services d’avocats. Le seul membre d’Aide juridique Ontario qui n’était pas avocat, le président-directeur général Robert Ward, est venu sans avocat.
60 Notre enquête a respecté les privilèges imposés par la Loi de 1998 sur les services d’aide juridiques. La demande de financement présentée par M. Wills à Aide juridique Ontario ne nous a pas été communiquée, pas plus que ne l’ont été les factures présentées par ses nombreux avocats. Le cas échéant, nous avons obtenu les renseignements généraux pertinents auprès des instances judiciaires où les questions du financement avaient été soulevées, et nous avons ainsi amplement disposé de renseignements pour ce rapport.
61 La longue et douloureuse saga Wills a commencé le 15 février 2002. Ce jour-là, Linda Mariani, une femme mariée d’une quarantaine d’années, comptable de profession et mère d’un enfant, a disparu. Une seule personne savait alors où elle était : Richard Wills. Lui seul savait que les restes de Linda étaient dans une poubelle de 60 gallons, bien scellée, cachée derrière un faux mur dans le sous-sol de sa maison.
62 Richard Wills, père de trois enfants, était alors officier de police et comptait près de 25 ans de carrière dans les Services de police de Toronto. Il était séparé de sa femme, Joanne. M. Wills et Mme Mariani étaient associés en affaires et géraient une école de patinage intensif à Newmarket avec le mari de celle-ci. Depuis longtemps, ils étaient amants.
63 Dès le départ, Richard Wills a été soupçonné dans la disparition de Mme Mariani. Lors de ses premières rencontres avec la justice, il a semblé coopératif et a consenti à des perquisitions de son domicile et de son véhicule. Entre-temps, il cherchait à rejeter les soupçons sur le mari de Mme Mariani et prétendait être inquiet, en laissant des messages pour Mme Mariani.
64 Lorsque toute cette saga a commencé, M. Wills était un homme fort aisé. Il s’est vanté aux détectives qu’il « valait plus d’un million de dollars ». Un affidavit déposé au tribunal par la police en mars 2004 indique qu’il possédait cinq propriétés résidentielles, dont un chalet familial qu’il possédait en copropriété avec sa soeur. La police a estimé à 1 163 000 $ la valeur des propriétés en son nom, avec un total d’hypothèques de seulement 365 000 $. Il avait aussi des REER d’une valeur de 72 000 $ et possédait des véhicules d’une valeur approximative de 23 000 $. Mais au cours des six mois qui ont suivi, il s’est transformé en miséreux.
65 En mars 2002, soit un mois après la disparition de Mme Mariani, M. Wills a décidé d’officialiser sa séparation d’avec sa femme par un accord de séparation. Sur son salaire annuel de 65 000 $, il a consenti à lui payer une pension mensuelle de 285 $, plus une pension pour enfants de 758 $ chaque mois. L’accord stipulait également qu’il devait à sa femme un paiement de péréquation de 128 380 $, somme assez modeste qu’il a payée en cédant à sa femme un intérêt dans une maison à Richmond Hill. De son côté, il gardait le foyer conjugal, également à Richmond Hill, et acceptait l’entière responsabilité de l’hypothèque sur une autre propriété.
66 Deux mois plus tard, le 4 juin 2002 – juste avant de se rendre à la police – M. Wills a retiré le maximum sur sa ligne de crédit à la banque. Il a appelé sa femme, lui a dit qu’il avait transféré 120 000 $ à leur compte conjoint et il lui a ordonné de transférer cette somme dans son compte à elle.
67 Deux jours plus tard, il a accepté de transférer à sa femme un intérêt conjoint dans une troisième propriété à Richmond Hill. Il a raconté qu’il avait contraint sa femme de lui céder l’intérêt qu’elle avait dans cette propriété et qu’il voulait maintenant réparer ses torts.
68 Le lendemain, M. Wills s’est rendu au poste de police avec son avocat Peter Danson et a raconté au policier une histoire incroyable. Selon lui, Mme Mariani était morte chez lui lors d’un tragique accident, lorsqu’elle était tombée à la renverse dans les escaliers et qu’elle s’était cogné la tête sur le carrelage de céramique. Il a raconté qu’il lui avait promis que, si elle mourait un jour, il l’enterrerait dans son chalet de famille à Wasaga Beach, car elle ne voulait pas être enterrée dans le mausolée de la famille de son mari. Et c’est pourquoi, a-t-il dit, il avait placé son corps dans une poubelle derrière un faux mur, dans son sous-sol – une mesure d’urgence en attendant de pouvoir respecter les voeux de Mme Mariani. Avant de se rendre au poste de police, il avait sorti la poubelle de sa cachette pour que les policiers puissent la trouver.
69 Les policiers ont découvert la poubelle enveloppée dans des dessus de lit, des couvertures et une bâche de plastique transparent, sur laquelle un adhésif liquide avait été vaporisé. Le couvercle était scellé avec du ruban adhésif entoilé, verrouillé avec une douzaine de gros cadenas et calfeutré. Le corps de Mme Mariani avait été poussé dans ce contenant, la tête la première, avec autour du cou une corde à sauter. Dans ce contenant, il y avait également son sac et ses papiers d’identité, sa pagette et son téléphone cellulaire (dont les piles avaient été enlevées), des vêtements d’homme avec des étiquettes montrant qu’ils avaient été achetés trois jours avant la disparition de Mme Mariani, et un bâton de base-ball en aluminium. Le pathologiste chargé de l’examen a conclu que Linda Mariani était morte d’un traumatisme crânien fermé, avec facteurs concurrents possibles, notamment une compression du cou et une asphyxie positionnelle.
70 M. Wills a été accusé de meurtre au deuxième degré. Le cabinet d’avocats Danson a mené son dossier, de son arrestation en juin jusqu’à la fin de l’automne. M. Wills a renvoyé ses avocats quand son accusation a été amendée à meurtre au premier degré, après leur avoir payé au total 30 000 $.
71 Ensuite, il a retenu les services de M. Todd White, de Greenspan White. M. White est devenu l’avocat commis au dossier le 4 décembre, après avoir reçu un acompte de 50 000 $. Mais le 11 septembre 2003, lui aussi a été limogé, mais non sans avoir facturé 40 000 $ en frais de service.
72 Dans les 15 mois suivants, M. Wills a transféré à sa femme ses intérêts dans cinq propriétés et il a cédé à sa soeur son intérêt dans le chalet familial. Il a encaissé ses REER et a transféré tout l’argent, soit environ 70 000 $, à sa femme. Apparemment, il a aussi transféré les 20 000 $ qu’il a reçus comme indemnité de départ de la police, après son arrestation. À notre connaissance, il ne lui restait donc plus qu’une modeste pension, dont la moitié environ devrait être consacrée à ses obligations de pension conformément à l’accord de séparation.
73 Au début du mois de septembre, Richard Wills a fait une demande d’aide juridique; le 11 septembre 2003, il a reçu les 10 000 $ qui restaient de son acompte à M. White. Il a remis cet argent à sa femme aussi.
74 Pour comprendre les événements qui ont suivi, il est important de bien cerner le système d’aide juridique en vigueur en Ontario, ainsi que les autres pratiques de financement public de la défense dans les procès criminels.
75 Il existe deux moyens pour les accusés de faire financer leur défense par les contribuables de l’Ontario. Le premier, qui est le plus courant, est de faire appel à « l’aide juridique », système géré par une société de la Couronne, appelée Aide juridique Ontario. Les accusés peuvent présenter une demande, et s’ils sont admissibles, leurs frais d’avocats sont payés selon des tarifs et des modalités qui conviennent à Aide juridique Ontario. La plus grande partie des fonds proviennent des deniers publics – surtout des deniers provinciaux, avec quelques fonds fédéraux, et un pourcentage petit mais significatif tiré des intérêts des fonds de fiducie des avocats et de leurs droits d’adhésion au Barreau, par l’entremise de la Fondation du droit de l’Ontario.
76 Le second moyen, moins courant, a joué un rôle crucial dans l’affaire Wills. En vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, les juges ont le pouvoir d’ordonner au Procureur général de l’Ontario de payer l’avocat de la défense d’un accusé qui n’est pas admissible à l’aide juridique. Ceci se produit uniquement quand l’accusé ne peut pas financer sa défense et quand il doit être représenté en justice pour garantir un procès équitable. Ce type d’ordonnance, qui porte le nom de la première personne à qui un tel financement a été accordé, est appelé ordonnance Rowbotham.
77 Habituellement, les ordonnances de type Rowbotham assurent un paiement au tarif horaire accordé par Aide juridique Ontario. Dans des cas exceptionnels, un tribunal peut ordonner en complément à une ordonnance Rowbotham une ordonnance Fisher, enjoignant au Procureur général de l’Ontario de payer l’avocat de la défense à un tarif horaire supérieur à celui d’Aide juridique Ontario.
78 Les montants scandaleux de fonds publics alloués à la défense de Richard Wills ne sont pas provenus du régime d’Aide juridique Ontario. M. Wills n’a jamais été admissible à l’aide juridique. Ses frais juridiques ont été payés conformément à des ordonnances Rowbotham et Fisher – à des tarifs horaires supérieurs au double de ce qu’aurait accordé Aide juridique Ontario, ce qui a mené à un total de débours qu’Aide juridique Ontario n’aurait jamais toléré dans son propre budget.
79 Les litiges criminels sont complexes. Ceux qui tentent de se défendre sans être représentés par un avocat sont clairement désavantagés. Mais il est coûteux de se faire représenter en justice par un avocat, et pour beaucoup de gens, le coût est hors de portée de leurs moyens. Le résultat est que les accusés non représentés ne bénéficient pas d’un accès égal à la justice – ce qui est incompatible avec la promesse d’égalité devant la loi et avec le droit de tous à obtenir un procès équitable en vertu de notre système de justice.
80 Il est contraire à l’intérêt public[3] de faire comparaître seuls devant la justice les accusés qui ne peuvent pas payer d’avocats. En effet, les prévenus qui ne sont pas adéquatement défendus s’exposent à une condamnation injustifiée et leurs procès sont inévitablement davantage sujets à erreur juridique.
81 De plus, quand un accusé n’est pas représenté, la procédure s’avère toujours difficile pour le juge. La plupart des gens ordinaires ne connaissent généralement pas les règles de procédure et bien souvent ils ne comprennent pas vraiment les causes qu’ils plaident. Il incombe alors au juge de rester impartial, en guidant l’accusé non représenté tout au long du processus. Fréquemment, le procès d’un accusé frôle alors des preuves non pertinentes et présente des arguments hors sujet, qui peuvent ajouter aux coûts et aux tensions.
82 Autrefois, les tribunaux désignaient un avocat pour les accusés indigents dont le procès sans représentation risquait d’être injuste. L’avocat désigné travaillait gratuitement[4] par respect pour le tribunal et par souci de charité[5]. Ceci n’est plus faisable. Ces causes sont maintenant trop nombreuses. De plus, la procédure criminelle est devenue plus complexe et les procès plus longs, tandis que les frais d’exercice de la profession juridique ont augmenté. Résultat, depuis 40 ans, le gouvernement de l’Ontario finance la défense de certains accusés d’actes criminels.
83 Jusqu’au milieu des années 1990, le secteur de l’aide juridique est resté une industrie en expansion, reflet d’une société généreuse. Mais après la Charte, les procès sont devenus plus compliqués et plus coûteux. Ce faisant, les changements démographiques et économiques ont laissé bon nombre d’Ontariens sans les moyens de financer leur défense. Très vite, les pressions exercées sur le système ont menacé de le faire s’effondrer. Les restrictions et les contrôles financiers sont devenus des préoccupations constantes dans les politiques d’aide juridique. Des plafonds de dépenses ont été imposés aux avocats, des limites strictes ont été adoptées quant aux infractions admissibles et des compressions budgétaires radicales ont été effectuées. En 1996-1997, un point bas a été atteint quand le nombre des certificats émis aux avocats pour l’aide juridique a été de 75 000 seulement, soit une réduction de plus de 150 000 en quelques années seulement.
84 Face aux pressions financières et en réponse aux objectifs de la profession, le gouvernement a commandé une étude au professeur John McCamus (actuellement président du régime d’Aide juridique Ontario) en 1997. Son rapport, intitulé A Blueprint for Publicly Funded Legal Services, a préconisé la création d’un organisme autonome pour administrer le régime d’aide juridique, ainsi qu’une structure de gouvernance pour assurer sa responsabilisation envers le public :
Le système d’aide juridique doit rendre compte au gouvernement de l’Ontario et au grand public de la manière dont il gère les fonds publics… La structure de gouvernance doit rassurer le public que l’argent est judicieusement dépensé. Les administrateurs de l’aide juridique doivent pouvoir et vouloir fournir le genre de rapports et de renseignements qui permettront au gouvernement et aux autres intéressés d’arriver à des conclusions éclairées sur la façon dont les ressources publiques ont été utilisées pour l’aide juridique.[6]
85 L’année suivante, le gouvernement a adopté la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique en vertu de laquelle Aide juridique Ontario a été créée comme une société autonome, tenue de rendre des comptes au gouvernement par le biais du Procureur général. Aide juridique Ontario est gouvernée et gérée par un conseil d’administration nommé par le lieutenant-gouverneur en conseil. Son mandat est d’assurer des services juridiques aux personnes à faible revenu « dans le cadre d’une obligation redditionnelle envers le Gouvernement de l’Ontario pour les dépenses de fonds publics ». Et ces fonds sont considérables. En 2005-2006, Aide juridique Ontario avait un budget de fonctionnement de 309 321 000 $ provenant principalement de fonds provinciaux. Cet organisme a traité 131 157 demandes et approuvé le financement de 111 018 causes.
86 Malgré le taux élevé d’acceptation des demandes que reflètent ces statistiques, il n’est vraiment pas facile d’obtenir l’aide juridique. Des critères stricts d’admissibilité sont imposés, aussi bien financiers que juridiques. En 1996[7], les niveaux d’admissibilité financière ont été réduits de 22 % et n’ont jamais été augmentés depuis. Une famille de quatre personnes, disposant d’un revenu net de 29 000 $, pourrait ne pas être admissible à l’aide juridique. Le résultat est que de nombreux cas méritoires ne bénéficient pas de l’aide juridique, et la faute n’en revient pas à Aide juridique Ontario mais aux gouvernements successifs qui n’ont pas injecté de nouveaux fonds dans le système.
87 Le processus de demande, placé sous l’autorité des 51 directeurs régionaux, est exigeant. Les demandeurs doivent divulguer leur revenu, leurs avoirs, le nombre de personnes à leur charge et Aide juridique Ontario enquête sur l’admissibilité de chaque demande. Les demandes sont évaluées en fonction d’un budget de dépenses admissibles maximales pour les frais de subsistance, et tout ce qu’un demandeur possède ou gagne en plus est considéré comme des fonds qui peuvent être utilisés pour payer un avocat. Aide juridique Ontario peut exiger des demandeurs qu’ils s’engagent à contribuer au règlement de leurs services juridiques. Cet organisme peut imposer des droits de rétention sur les biens d’un demandeur pour assurer le remboursement et a des compétences légales spéciales pour recouvrer l’argent qui lui est dû. Pour mieux veiller encore à l’intégrité des demandes, les avocats et les prestateurs de services sont tenus de par la loi de signaler toute fausse déclaration ou non-divulgation des demandeurs.
88 De plus, des politiques détaillées d’Aide juridique Ontario stipulent que son personnel doit identifier et considérer avec diligence les cas où les demandeurs ou leur conjoint ont transféré des biens dans les 12 mois précédant la demande. Toute circonstance inhabituelle doit être signalée au directeur régional.
89 Une fois qu’une demande d’aide juridique a été approuvée, les règlements de loi imposent un certain nombre de restrictions quant aux frais et débours permis (voir Règl. de l’Ont. 107/99). Ces règlements comprennent des barèmes d’honoraires avec des maximums bien précis pour les services, et même dans le cadre de ces maximums autorisés, les règlements interdisent aux avocats de facturer plus de 10 heures par jour, alors qu’il est tout à fait courant pour les avocats en procès de travailler un plus grand nombre d’heures. Les avocats se plaignent souvent que les tarifs horaires sont globalement inadéquats. En théorie, l’époque où les avocats assuraient des services juridiques par souci de bienfaisance est révolue, mais en pratique les 4 000 avocats qui assurent l’aide juridique font couramment des heures supplémentaires non payées pour défendre leurs causes.
90 Pour les heures payées, les tarifs sont censés refléter « les honoraires habituellement payés par un client aux moyens modiques ». Mais ces tarifs accusent maintenant un sérieux retard. Selon Aide juridique Ontario[8], un client « aux moyens modiques » est censé payer des frais juridiques allant de 200 $ à 300 $ de l’heure. Mais le maximum accordé par Aide juridique Ontario aux avocats est actuellement de 96,95 $ de l’heure, pour un avocat à l’échelon 3 qui a 10 années de service ou plus. Ce montant comprend une augmentation de 5 % survenue le 18 juillet 2007. Auparavant, le tarif n’avait augmenté que de 10 % depuis 1987.
91 Aide juridique Ontario a le pouvoir discrétionnaire, exercé par les 50 membres de son personnel des Services aux avocats et paiements, d’augmenter ces maximums pour des raisons exceptionnelles, en tenant compte d’une myriade de facteurs liés à la complexité de l’affaire. Ces augmentations, très rares, ne sont accordées qu’une fois que le travail a été effectué. De même, Aide juridique Ontario peut refuser de payer les frais juridiques d’une cause qui s’est déraisonnablement prolongée, ou des honoraires résultant de négligence, ou encore tout honoraire indûment réclamé.
92 Les règlements de la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique exigent que les avocats conservent des relevés détaillés des services assurés. Des vérifications sont faites au hasard et Aide juridique Ontario a recours à un processus spécial de validation pour les facturations qui ont donné lieu à des plaintes, celles où la fréquence d’erreurs est grande, ou pour les montants qui semblent élevés et supérieurs à ceux d’autres avocats qui s’occupent de causes similaires.
93 Quand Aide juridique Ontario estime que le coût d’une affaire dépassera les 20 000 $, cette affaire passe au programme de « Gestion des causes majeures »[9], créé en 1995 en tant que « système de gestion et de compression des coûts ».
94 Les budgets des « causes majeures » sont évalués d’après la longueur et la complexité de la procédure. Ces budgets doivent répertorier les étapes de la procédure qu’un demandeur raisonnable, aux moyens modiques, autoriserait à un avocat du secteur privé, s’il était informé des options disponibles, des résultats potentiels et des frais encourus. Les budgets doivent également indiquer le total prévu des honoraires et débours pour ces étapes[10].
95 Le programme de Gestion des causes majeures est exigeant. Pour commencer, un avocat doit présenter un Formulaire d’opinion pour les audiences, long de trois pages, indiquant le type de cause et décrivant le travail prévu, y compris les requêtes exceptionnelles. L’avocat doit ensuite rencontrer l’un des 12 directeurs de secteur spécialisés en droit criminel pour établir un budget préliminaire raisonnable.
96 Dans les causes où il y aura un procès en cour supérieure, l’avocat doit soumettre un Formulaire d’opinion pour les procès, long de neuf pages, après l’audience préliminaire et la première phase préparatoire. Les renseignements suivants doivent être donnés : théorie de la défense, quantité et nature des documents divulgués par le poursuivant, préparation requise, éléments de preuve qui pourront être présentés, et autres renseignements de procédure, y compris les requêtes qui seront débattues.
97 Une seconde rencontre a lieu ensuite à propos du budget, et le directeur régional passe le plan en revue. Il n’est pas inhabituel alors qu’il rejette la demande de financement pour des requêtes ou des stratégies particulières de procès. Le budget reflète les modalités des tarifs de base d’Aide juridique Ontario, notamment du tarif horaire habituel et du maximum autorisé par prestateur de service, par jour civil ou par année.
98 Le président d’Aide juridique Ontario est informé de l’aboutissement de toutes les réunions relatives à la Gestion des causes majeures[11] et les décisions d’un directeur régional peuvent faire l’objet d’un appel auprès du président[12]. De toute évidence, un processus strict de surveillance.
99 Depuis 2001, les causes dont le budget prévu dépasse les 75 000 $ sont soumises à une évaluation encore plus rigoureuse. Ces causes sont référées au Comité des exceptions du programme de Gestion des causes majeures, composé de dirigeants d’Aide juridique Ontario et de membres éminents et hautement respectés du Barreau criminel qui ont l’expérience des causes majeures et qui offrent leurs services pro bono – c’est-à-dire gratuitement. Fondamentalement, ce comité procède à un examen des budgets proposés pour garantir qu’ils sont soumis à une étude objective et experte. Le comité évalue la nécessité et la viabilité des requêtes présentées par la défense et rejette celles qui s’annoncent non productives. La probabilité de réussite de la défense qui est proposée joue également sur l’examen du budget par le comité.
100 Le coût du programme de Gestion des causes majeures a augmenté radicalement au cours des dernières années, en partie en raison du phénomène des « méga causes » et des causes relatives aux « gangs armés ». Ces causes, principalement liées au crime organisé, font intervenir de nombreux accusés et suscitent des enquêtes policières longues et complexes. Le 20 novembre 2006, Aide juridique Ontario a annoncé des changements dans ses directives de financement, parce que le programme de Gestion des causes majeures avait augmenté de 400 % en six ans. En 2006-2007, Aide juridique Ontario a eu 49 nouvelles causes dont le budget dépassait les 75 000 $, le coût moyen d’une affaire close étant de 77 816 $ par accusé. Pour les méga causes, le coût final était de 151 486 $ par accusé. Cette année-là, plus de 23 millions $ ont été consacrés aux causes majeures.
101 Dans son budget de 2007, le gouvernement provincial a annoncé un investissement supplémentaire de 51 millions $ dans Aide juridique Ontario, sur une période de trois ans. Sur ce total, 15 millions $ sont alloués au programme de Gestion des causes majeures.
102 En raison des pressions qui s’exercent sur Aide juridique Ontario, toutes les personnes qui font une demande d’aide juridique parce qu’elles ont des moyens modiques ne sont pas déclarées admissibles. Beaucoup sont obligées d’assurer elles-mêmes leur défense. Mais quand il s’avère impossible pour un accusé aux moyens modiques d’obtenir un projet équitable parce qu’il n’est pas représenté, le tribunal peut parfois intervenir et ordonner un financement extérieur au régime statutaire d’aide juridique. C’est ce qui s’est passé dans l’affaire Wills.
103 Avec l’adoption de la Charte, les tribunaux ont acquis un nouveau pouvoir de faire financer par l’État la défense au criminel d’un accusé. La cause qui a marqué un point tournant dans ce domaine est R v Rowbotham[13]. Cette affaire, qui portait sur des infractions graves en matière de drogues, a mené à un procès complexe et difficile. L’un des accusés, à qui une aide juridique avait été refusée, a argumenté en appel que la Charte garantissait le financement public des services d’un avocat aux prévenus qui n’avaient pas les moyens de s’en payer un. Dans sa décision, la Cour d’appel de l’Ontario a accepté une proposition beaucoup plus modeste. Citant une décision rendue au préalable par la Cour divisionnaire, elle a reconnu ceci :
Il peut y avoir des cas rares où l’aide juridique est refusée à un accusé qui va en procès mais, quand le juge considère que, vu la gravité et la complexité de la cause, l’accusé ne peut pas obtenir un procès équitable s’il n’est pas représenté en justice, il semble qu’il y ait dans pareil cas un droit garanti à un avocat rémunéré par l’État en vertu de la Charte[14].
104 Quand un juge rend une ordonnance Rowbotham, il n’ordonne pas directement le paiement des frais juridiques. Ce droit constitutionnel étant établi, le juge ordonne une suspension de l’instance en attendant le financement d’un avocat, ce qui contraint le Procureur général à abandonner la cause ou à fournir les fonds. Les tribunaux au Canada ont invoqué l’affaire Rowbotham pour justifier un sursis d’instance en attendant que les services d’un avocat payé par l’État soient retenus pour un accusé qui n’est pas autrement admissible à une aide juridique[15].
105 Et puis, il y a l’affaire R. v. Fisher[16]. Larry Fisher était admissible à l’aide juridique en Saskatchewan, mais la Commission d’aide juridique a rejeté sa requête de se faire représenter par un avocat hors de la province, dont le tarif horaire était supérieur à celui de l’aide juridique qui était alors de 66 $ de l’heure. L’affaire a mis en jeu des éléments de preuve complexes, car M. Fisher était poursuivi pour le même meurtre que David Milgaard, devenu célèbre pour avoir été injustement condamné longtemps auparavant. M. Fisher avait témoigné à la Cour suprême du Canada à propos de la culpabilité de M. Milgaard. Il était donc raisonnable de permettre à M. Fisher d’être représenté par l’avocat qui était le sien lors de cette audience, mais cet avocat n’acceptait pas les tarifs de l’aide juridique. En fin de compte, le tribunal a décidé qu’il était en droit d’ordonner qu’un avocat bien particulier soit nommé, même à des tarifs excédant ceux de l’aide juridique, si cela s’avérait nécessaire pour un procès équitable. Le juge a déterminé que le tarif de l’avocat principal serait de 150 $ de l’heure et celui de son co-avocat de 75 $ de l’heure[17], sans placer de restriction quant au nombre de leurs heures, si ce n’est en disant qu’une fois le total de 50 000 $ serait atteint, le tribunal pourrait réexaminer l’ordonnance.
106 La décision Fisher soulignait les circonstances uniques de cette cause, mais la cause en question a été invoquée par un certain nombre de tribunaux pour étendre le droit d’un accusé à un avocat de son choix et pour établir un tarif supérieur à celui de l’aide juridique[18]. Dans Regina et al. v. Peterman[19], la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré que, bien que l’État ne soit pas généralement obligé d’accorder un financement pour un avocat du choix de l’accusé, deux exceptions étaient possibles – premièrement, dans les causes tout à fait uniques où un accusé montre qu’il ne peut obtenir de procès équitable à moins d’être représenté par un avocat particulier, et deuxièmement quand un accusé ne peut pas trouver d’avocat compétent pour le représenter dans les conditions imposées par Aide juridique Ontario. Le tribunal a émis cette mise en garde : « On présumerait que ces causes sont excessivement rares. » Il a ensuite étudié le bien-fondé d’ordonnances rendues directement par les tribunaux contre Aide juridique Ontario dans des causes criminelles. Il a conclu que de telles ordonnances devraient être rendues contre la Couronne, et non pas contre Aide juridique Ontario.
107 Considérant la mise en garde donnée dans chacune de ces décisions, les tribunaux de l’Ontario exercent une retenue considérable quand ils envisagent une ordonnance Rowbotham ou Fisher, ordonnances qui restent relativement rares. Kerry Lee Thompson, avocate de la Couronne au ministère du Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne – droit criminel, qui est chargée du processus de paiement pour les ordonnances Rowbotham et Fisher, nous a informés que seules quelques ordonnances de ce type lui étaient présentées chaque année. En 2006, le Ministère a payé un total de 22 450,70 $ pour des factures relatives à quatre ordonnances Rowbotham et un total de 274 053,94 $ pour deux ordonnances Fisher – dont l’une était celle de l’affaire Wills. En septembre 2004, il y avait quatre causes avec ordonnance Rowbotham, et le Ministère avait déboursé 34 690,05 $ jusqu’à cette date. En 2007, une seule cause avec ordonnance Fisher était au Ministère – et c’était l’affaire Wills.
108 L’une des raisons pour lesquelles les ordonnances Rowbotham et Fisher sont rares en Ontario est peut-être que la politique de traitement des demandes adoptée par Aide juridique Ontario est conçue pour les éviter. Dans son manuel de politiques pour les bureaux régionaux, les critères d’exercice du pouvoir discrétionnaire relatif à l’admissibilité financière incluent la considération de « la gravité de la cause juridique et du caractère raisonnable des frais juridiques… questions pour lesquelles une requête Rowbotham peut être rendue ». De même, quand des requêtes sont présentées à la veille du procès, le personnel d’Aide juridique Ontario fait tout son possible pour s’assurer que toute ordonnance judiciaire relative aux frais d’avocats est rendue conformément au tarif de l’aide juridique en Ontario. Ces méthodes s’apparentent à celles en vigueur en Colombie-Britannique, où la Legal Services Society tente d’éviter les ordonnances Rowbotham et Fisher en reconsidérant automatiquement les demandes d’aide juridique quand un demandeur a des moyens financiers tout juste supérieurs aux limites d’admissibilité financière, et dont la cause est suffisamment grave et complexe pour justifier une ordonnance Rowbotham.
109 Bien que les ordonnances Rowbotham et Fisher soient rares, il n’est pas inhabituel pour les tribunaux de l’Ontario d’ordonner que le Procureur général paie les frais juridiques des accusés qu’il poursuit en justice. L’article 22 de la Loi sur les instances introduites contre la Couronne exige que le ministère des Finances prélève dans le Trésor les montants à payer pour ces ordonnances. La pratique veut que ces paiements soient administrés par le biais du ministère du Procureur général. Chaque année, ce Ministère traite plus de 400 comptes de ce type. Beaucoup de ces ordonnances sont rendues par la Commission ontarienne d’examen, organisme de santé mentale, relativement aux services d’avocats rémunérés par l’État. Certaines ont trait à la facturation des avocats nommés pour contre-interroger les enfants plaignants dans des affaires d’infractions sexuelles où les accusés sont non représentés, afin que les plaignants ne soient pas contre-interrogés par la personne qu’ils accusent de violence sexuelle. Le Ministère s’occupe aussi des ordonnances rendues en vertu du Code criminel du Canada pour le paiement des avocats qui sont en appel dans des causes criminelles. En outre, le Ministère veille au paiement des avocats dont les services ont été retenus par une ordonnance judiciaire pour venir en aide au tribunal – c’est-à-dire les « amis de la cour » ou amicus curiae.
110 Le Ministère ne garde pas de relevés statistiques sur les paiements qu’il verse en vertu de la Loi sur les instances introduites contre la Couronne, ni sur les montants payés pour chaque ordonnance. Cependant, il s’efforce de garder le contrôle de telles dépenses. Les factures de frais juridiques réglés par le Ministère sont généralement honorées au tarif de l’aide juridique, à moins qu’une ordonnance judiciaire expresse ne le veuille autrement. Le Ministère ne fait aucun paiement des comptes qu’il gère sans confirmer au préalable la légitimité du travail avec l’avocat public concerné. Si un avocat est en désaccord avec le montant offert, le Ministère ne fait pas de compromis. Il verse le montant qu’il considère dû et suggère à l’avocat d’aller en cour pour que ces comptes soient « taxés », terme qui désigne le processus par lequel un fonctionnaire judiciaire rend une décision quant au bien-fondé de la facturation.
111 L’un des dangers que présente ce processus de traitement par le Procureur général est que ces comptes comprennent souvent des renseignements privilégiés[20]. Il est malséant – en fait, inapproprié – de demander aux avocats de soumettre des renseignements privilégiés au bureau du Procureur général à propos de causes où l’avocat de la défense est un avocat de la Couronne de ce même bureau. Pour éviter ce genre de situation, le ministère du Procureur général transmet à l’occasion les comptes à payer à Aide juridique Ontario, pour qu’elle les gère.
112 Ce n’est pas la seule occasion où le ministère du Procureur général fait appel à Aide juridique Ontario pour l’aider à gérer des comptes. Il réfère également ses comptes à Aide juridique Ontario quand il peut bénéficier du savoir-faire de cet organisme pour revoir la facturation des avocats, par exemple quand des avocats ont facturé des heures en plus de la grille tarifaire de l’aide juridique.
113 Quand le Ministère reçoit des comptes dans le cadre d’ordonnances Rowbotham ou Fisher, il demande, cas par cas, à Aide juridique Ontario de l’aider à les gérer. La méthode est si bien en place et si logique que Mme Thompson nous a informés qu’elle ne reçoit pas toujours de préavis pour une demande d’ordonnance Rowbotham ou Fisher. Elle nous a déclaré que ces demandes sont souvent traitées par un bureau local du ministère du Procureur de la Couronne, conjointement avec un bureau régional d’Aide juridique Ontario. Aide juridique Ontario a indiqué qu’elle avait géré les comptes de six causes Rowbotham-Fisher depuis 2002.
114 Le Ministère compte fortement sur les évaluations d’Aide juridique Ontario. Mme Thompson ne règle pas un compte tant qu’elle n’a pas reçu confirmation d’Aide juridique Ontario que ce compte cadre avec le budget prévu ou a été approuvé par le Comité des exceptions.
115 Le pouvoir qu’a Aide juridique Ontario de participer ainsi au processus semble être appuyé par les compétences légales définies dans la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique, qui comprend la coordination des services avec d’autres aspects du système judiciaire. L’article 58 de cette Loi confère expressément à Aide juridique Ontario le droit de conclure des accords avec les gouvernements, y compris avec le gouvernement de l’Ontario, relativement à la prestation des services d’aide juridique. Cet organisme a également conclu à l’occasion des contrats avec le gouvernement fédéral pour gérer des ordonnances judiciaires qui exigent le financement public d’une représentation juridique dans des causes graves poursuivies par le gouvernement fédéral. Pareils contrats confèrent à Aide juridique Ontario la gestion des comptes dans la mesure où le permettent ses propres procédures et politiques. Aide juridique Ontario est payée pour ces contrats et reçoit des frais administratifs de 9 %.
116 Depuis 2003, Aide juridique Ontario a passé en revue 68 comptes relatifs à 21 causes liées à des ordonnances judiciaires enjoignant au Procureur général de la province de financer l’avocat opposant. À la différence du travail qu’elle fait pour le gouvernement fédéral, Aide juridique Ontario ne perçoit aucune rémunération pour ces services. Les responsables d’Aide juridique Ontario tendent à décrire leur rôle de gestion financière des causes juridiques au nom du ministère du Procureur général comme une « question de courtoisie ». La directrice des Services aux avocats et paiements, à Aide juridique Ontario, nous a informés qu’elle passait environ un jour par semaine à gérer les causes qui ne relèvent pas du mandat conféré par la loi à Aide juridique Ontario. Bien qu’un très petit nombre de ces causes mettent en jeu des ordonnances Rowbotham ou Fisher, le traitement de ces causes spéciales tend à être plus exigeant que celui des comptes ordinaires d’aide juridique, car il doit se faire annuellement. (Ces causes n’ont pas de numéros de certificats, essentiels pour utiliser le système informatisé de gestion d’Aide juridique Ontario.)
117 Il est clair malgré tout – d’après les documents non confidentiels que nous avons pu obtenir – qu’Aide juridique Ontario procède habituellement avec une rigueur louable quand elle examine des comptes au nom du Ministère, notamment en exigeant que les avocats respectent les politiques et procédures pertinentes. Dans un cas de fraude complexe que nous avons étudié, les comptes soumis en vertu d’une ordonnance Fisher avaient été « strictement examinés » par un vérificateur de comptes. L’avocat de la défense avait dû présenter des renseignements détaillés à mesure que progressait l’affaire, fournir des explications et Aide juridique Ontario avait comparé les factures présentées à des comptes de causes similaires. Le processus avait eu pour résultat des rajustements de comptes.
118 Aide juridique Ontario avait fourni un service similaire dans une cause datant de 2003, où le tribunal avait ordonné au Procureur général de financer un avocat au tarif de 125 $ de l’heure. Un budget avait été établi d’après les renseignements présentés par l’avocat de la défense et la cause avait été gérée selon les politiques et procédures de la Gestion des causes majeures. Là encore, des redressements de comptes avaient été effectués à la suite des vérifications.
119 Cette même année, Aide juridique Ontario avait géré avec efficacité un cas de fraude complexe où elle avait refusé le financement de l’accusé par crainte qu’il n’ait pas honnêtement divulgué ses avoirs. Le directeur de la Gestion des causes majeures avait signalé au Procureur général que le dossier avait été géré selon les critères habituels d’Aide juridique Ontario et que la stratégie de défense avait été soumise à examen. Ce n’est qu’après avoir reçu des clarifications qu’Aide juridique Ontario avait jugé que les frais facturés étaient « raisonnables et conformes aux modalités de facturation d’Aide juridique Ontario ».
120 En 2004, Aide juridique Ontario avait géré les comptes relatifs à la demande d’un délinquant dangereux, reconnu coupable de tentative de meurtre et d’intimidation envers un représentant de la justice. C’était une cause difficile, dans laquelle l’accusé avait limogé successivement plusieurs avocats. Aide juridique Ontario s’était acquittée de la tâche qui lui avait conférée par le tribunal et avait établi un budget puis étudié les comptes, tout en respectant le secret professionnel de l’avocat. Cette même année, Aide juridique Ontario avait géré une demande Rowbotham consensuelle, ainsi que les comptes d’un amicus curiae nommé dans une autre affaire de délinquant dangereux. Tous ces comptes avaient fait l’objet d’examens et avaient été réglés conformément aux tarifs d’aide juridique, après autorisation de blocs d’heures, comme le voulait le processus de traitement des demandes d’augmentation discrétionnaire à Aide juridique Ontario.
121 L’Ontario n’est pas la seule province où les ordonnances Rowbotham et Fisher peuvent être administrées par les bureaux d’aide juridique[21]. Exceptionnellement, en Saskatchewan, ces ordonnances sont traitées uniquement par la direction des Services judiciaires du ministère de la Justice, qui négocie les conditions de représentation en justice avec l’avocat. Si cela s’avère impossible, les parties peuvent retourner au tribunal où les conditions sont définies. Dans toutes les autres administrations que nous avons considérées, la tâche relève du prestateur de services d’aide juridique.
122 À l’exception de la Colombie-Britannique, chacun de ces prestateurs d’aide juridique fournit ses services sans arrangement officiel, tout comme en Ontario. En Colombie-Britannique, l’administration des ordonnances Rowbotham et Fisher se fait dans le cadre d’un protocole d’entente entre la province et la Legal Services Society.
123 Très clairement, il y a un recoupement difficile entre l’aide juridique et le système de financement sur ordonnance judiciaire là où un système administratif complet n’a pas encore été mis en place à cette fin. Les dangers de s’en remettre à des solutions ad hoc pour gérer des comptes sur ordonnance judiciaire ont été révélés par l’affaire Wills.
124 Pour contextualiser le processus qui a mené aux coûts astronomiques de la défense de M. Wills, il faut prendre bonne mesure de l’homme. M. Wills était un prévenu odieux et exécrable.
125 Il s’est montré manipulateur. Il a prétendu avoir la visite d’esprits et il a essayé de duper un psychiatre pour obtenir un plaidoyer d’aliénation mentale. Il a tyrannisé ses avocats. Il a tout fait pour retarder la procédure, en recourant aux quelques connaissances juridiques qu’il avait acquises en tant que policier pour revendiquer des droits qu’il n’avait pas. Il s’est montré histrionique. Le 28 juin 2006, il s’est plaint au juge que la police l’avait battu et a demandé à se faire hospitaliser. Quand sa demande a été rejetée, il a fermé les yeux et s’est effondré comme s’il allait mourir – ce qui a provoqué les rires des spectateurs au tribunal.
126 Pour reprendre les termes très modérés du juge, la conduite de M. Wills lors de l’enquête préliminaire a souvent « frisé l’outrage au tribunal ». Ceci ressort clairement des transcriptions du procès et des rapports des médias que nous avons examinés. Fréquemment, M. Wills parlait à voix haute lors des audiences. Il s’adressait aux juges sans montrer aucun respect. Il jurait et insultait les témoins, les juges et les poursuivants. Comme un enfant mal élevé, il rotait et se permettait de faire des bruits encore plus grossiers.
127 La conduite de M. Wills était perturbatrice, même pour ses propres avocats. Il riait fort, se couchait par terre dans le box des accusés, restait insensible aux remontrances du juge. Le 1er mars 2005, le juge Shaughnessy a déclaré, sans vouloir faire d’humour : « I think we have unfortunately a test of wills here. » [Je crois malheureusement qu’on nous met à l’épreuve.] En fin de compte, cet homme odieux en a fait à sa volonté – il voulait que le public accepte de porter le fardeau de sa défense, par décence, et il a réussi.
128 Aux environs de son arrestation en 2002, M. Wills était bien plus capable que beaucoup d’autres de payer sa défense. Mais en septembre 2003, il affirmait être indigent et il s’est tourné alors vers Aide juridique Ontario.
129 En comparaison à des causes similaires et en fonction de ses règles de tarification, Aide juridique Ontario a évalué à 50 000 $ le coût de la défense de M. Wills. Mais elle a découvert qu’il avait cédé ses biens, alors qu’il savait qu’il aurait besoin de fonds pour sa défense, et elle en est arrivée à croire qu’il restait propriétaire d’une résidence à Mississauga. En réponse à la demande initiale de M. Wills et à sa demande de réexamen, Aide juridique Ontario a uniquement consenti à lui avancer des fonds s’il acceptait de les rembourser – et s’il acceptait un droit de rétention sur sa propriété à Mississauga. M. Wills a déclaré qu’il n’était plus propriétaire de cette résidence et a refusé cette offre.
130 Ayant alors limogé deux équipes d’avocats, M. Wills a entamé le processus préalable à son procès criminel sans représentation. Le 7 octobre 2003, le juge Joseph F. Kenkel a tenté de lui montrer combien il importait pour lui d’être représenté par un avocat. M. Wills a demandé au juge Kenkel s’il serait redevable au cas où le tribunal lui assignerait un avocat. Le juge Kenkel lui a répondu de but en blanc qu’il était hors de question que le tribunal le fasse.
131 Soit en raison de la façon dont M. Wills s’était conduit précédemment au tribunal, soit simplement en raison de la gravité de la cause, le juge Kenkel a pris une mesure rare le 3 décembre 2003 : il a nommé Howard Borenstein à titre d’amicus curiae, ou « ami de la cour », pour qu’il facilite l’enquête préliminaire à venir. M. Borenstein ne devait pas représenter M. Wills directement, il était simplement responsable de s’assurer que ses droits juridiques étaient respectés.
132 Quand M. Wills est comparu de nouveau au tribunal le 5 février 2004, après avoir subi une évaluation psychiatrique, il a de nouveau demandé au juge Kenkel un avocat nommé par la cour. Le juge a refusé, en déclarant ceci :
Vous avez eu auparavant deux équipes d’avocats que vous avez jugé approprié – approprié de renvoyer. Aide juridique Ontario… vous a offert une aide juridique, mais vous a demandé de signer un accord de remboursement. Vous avez refusé de signer cet accord, dans les circonstances que j’ai indiquées il y a quelques mois, à mon avis la raison pour laquelle vous n’êtes pas représenté en justice est parce que vous avez choisi de ne pas l’être et je ne nommerai pas d’avocat dans ces circonstances…
133 Le 19 février 2004, l’avocat Dirk Derstine, agissant pro bono, est comparu au tribunal et a indiqué que M. Wills souhaitait retenir ses services. M. Derstine aidait alors M. Wills dans ses tentatives pour obtenir une aide juridique. Le 26 février 2004, M. Derstine a fait savoir à Aide juridique Ontario que M. Wills n’était plus propriétaire de la résidence à Mississauga et Aide juridique Ontario a accepté de reconsidérer sa décision. Le 27 février 2004, Aide juridique Ontario a proposé d’émettre un certificat pour M. Wills sous réserve qu’il signe un accord de remboursement, mais sans droit de rétention. Cet accord stipulerait que M. Wills devrait payer 1 000 $ immédiatement, puis verser des paiements mensuels de 500 $ à partir du 25 mars 2004. Par la suite, Aide juridique Ontario a apparemment accepté de renoncer à cette exigence de paiement immédiat et a offert une aide à M. Wills s’il acceptait de verser 500 $ par mois à compter de mars 2004. Mais M. Wills a affirmé qu’il n’avait plus rien et qu’il lui était donc impossible de faire des remboursements.
134 Alors que l’audience préliminaire devait commencer le 9 mars 2004, et que M. Wills n’avait toujours pas d’aide juridique pour financer sa défense, M. Derstine a fait une requête d’ordonnance Rowbotham à la Cour supérieure, au nom de M. Wills, pour que ses frais juridiques soient rémunérés par le Procureur général. La Couronne a rétorqué que M. Wills « avait intentionnellement manoeuvré pour se retrouver dans les circonstances présentes, où il cherchait à obtenir le financement de sa défense sans disposition de paiement »[22].
135 Cet argument a de toute évidence trouvé faveur auprès du juge Alan W. Bryant, qui a rejeté la requête. M. Wills allait donc assurer lui-même sa défense lors de l’enquête préliminaire – une tournure d’événements qui allait se révéler désastreuse. L’administration de la justice allait en pâtir terriblement. D’habitude, les enquêtes préliminaires sont beaucoup plus simples et beaucoup plus rapides que les procès. Celle de M. Wills a été toute différente.
136 La fonction première d’une enquête préliminaire est tout simplement de déterminer si la Couronne dispose de suffisamment de preuves pour justifier un procès complet à partir des accusations. Or lorsqu’il a questionné les témoins de la Couronne, M. Wills n’a montré aucun sens de la pertinence ou du but, à moins qu’il n’ait essayé tout simplement de prolonger le processus. Il a contre-interrogé un détective de la police pendant neuf jours, sans rime ni raison. De plus, bien qu’il soit extrêmement rare pour un accusé de demander à produire des preuves lors d’une enquête préliminaire, M. Wills a avisé le tribunal qu’il appellerait 20 témoins. Le 12 novembre 2004, alors que l’audience durait depuis 65 jours, M. Wills en était au seizième témoin.
137 Le juge William A. Gorewich, qui présidait, a souvent fait des remontrances à M. Wills pour « obstruction systématique » et « détournement forcé » du processus. Le 21 avril 2004, le juge Gorewich lui a reproché ses contre-interrogatoires « ad nauseum ». Le 21 juillet 2004, il s’est lamenté que la procédure avait été « essentiellement sans valeur » ce jour-là. Et le 7 octobre 2004, il a réprimandé M. Wills de profiter de son statut d’accusé non représenté pour gaspiller le temps du tribunal. Comme l’a souligné le juge Gorewich, ce gaspillage était « colossal » et s’était répété durant « de nombreux, nombreux, nombreux jours lors de cette enquête préliminaire ». Ceci n’a aucunement découragé M. Wills.
138 Après 65 jours, le Procureur général n’a pas eu d’autre choix que de clore prématurément l’enquête préliminaire en invoquant un pouvoir auquel il a rarement recours, pour inculper un accusé et l’amener en procès sans mandat d’amener émis par un juge. Lors des audiences préalables au procès qui ont eu lieu en Cour supérieure devant le juge Shaughnessy, il est clairement apparu que M. Wills devait être représenté par un avocat. Le juge lui a enjoint, une fois de plus, de demander l’aide juridique.
139 Dans cette demande d’aide juridique, M. Wills a déclaré qu’il n’avait ni biens, ni pension, étant donné qu’il avait tout transféré à son épouse. Fidèle à sa politique, Aide juridique Ontario a insisté que M. Wills aurait dû conserver des avoirs pour assurer sa défense, au lieu de faire des paiements de pension qui n’étaient aucunement exigés par une ordonnance judiciaire. Aide juridique Ontario a donc maintenu sa position disant qu’elle lui avancerait des fonds pour un avocat, mais uniquement s’il acceptait de payer au moins 500 $ par mois pour sa défense.
140 À un moment donné, dont nous n’avons pas connaissance, les chemins de M. Wills et de M. Derstine se sont séparés. Le 4 janvier 2005, le juge Shaughnessy a de nouveau nommé M. Borenstein pour appuyer le tribunal, cette fois au moyen d’une seconde requête Rowbotham pour M. Wills. Une audience s’est tenue les 14 et 17 janvier et le 2 février 2005, et le troisième jour, le juge Shaughnessy a accédé à la requête.
141 Beaucoup trouveront peut-être choquant que M. Wills ait obtenu ce qu’il voulait, à savoir le financement de sa défense par l’État, alors qu’il s’était débarrassé lui-même de ses biens. Mais il y avait une certaine urgence à s’assurer que M. Wills obtienne un procès équitable. Le juge Shaughnessy avait souligné que M. Wills avait amplement démontré « qu’il n’avait ni les compétences, ni les connaissances nécessaires pour assurer lui-même sa défense ». Il a décrit comment la « méthode de présentation » de M. Wills et son entêtement ont « pour effet d’antagoniser tout le monde dans la salle du tribunal » ajoutant que « cet antagonisme pourrait s’étendre à un jury ». M. Wills était donc tout simplement « mal préparé pour assurer lui-même sa défense, ou même pour… avoir un procès équitable ». La seule question qui subsistait quant à la requête Rowbotham, c’était de savoir si M. Wills avait les moyens financiers de se faire représenter en justice – et le fait est que le 2 février 2005, il n’avait pas de tels moyens, peu importe les moyens dont il avait disposé de par le passé.
142 Le juge Shaughnessy a noté que le refus d’Aide juridique Ontario à financer la défense de M. Wills était regrettable. Le raisonnement de cet organisme et les preuves fournies par la directrice des Appels et de l’Accès à l’information, ne l’ont aucunement impressionné. La directrice a déclaré que M. Wills s’était défait de plus d’un million de dollars, mais le juge a conclu que cette affirmation était trompeuse. Aide juridique Ontario a reconnu qu’il y avait eu des erreurs dans ses recherches de titres et dans son évaluation de l’avoir net pour les biens de M. Wills. De plus, Aide juridique Ontario n’avait apparemment pas considéré le fait que M. Wills avait payé 70 000 $ pour sa propre défense avant de faire appel à cet organisme - somme qui représentait une « contribution notable » pour quelqu’un qui était à tout autre égard un particulier moyen, qui devait payer une pension à son ex-épouse et à ses trois enfants », a déclaré le juge. Le fait qu’il ait dépensé cet argent contredisait la suggestion avancée par Aide juridique Ontario voulant qu’il se soit débarrassé de ses actifs afin d’être admissible à des fonds publics. Enfin, le juge Shaughnessy a été « surpris » par la politique selon laquelle Aide juridique Ontario considérait que la nécessité de payer des frais juridiques devait avoir priorité sur toute autre chose, et ceci « même si la conséquence était que le demandeur doive manquer à ses engagements de pension alimentaire ». Il a suggéré qu’Aide juridique Ontario avait adopté une position de ressentiment et de restriction face aux obligations de pension alimentaire de M. Wills.
143 Mais le fait était certain que M. Wills était insolvable. Aide juridique Ontario lui avait imposé une condition de repaiement qu’il ne pouvait pas remplir, laissant donc au tribunal la responsabilité d’assurer la mise en place du financement, ce qui déplaisait clairement au juge.
144 Lorsqu’il a considéré s’il devait rendre ou non une ordonnance Rowbotham, le juge Shaughnessy s’est montré pragmatique : ce serait une solution moins coûteuse que d’aller en procédure avec un amicus curiae. Cet « ami de la cour » avait été payé 200 $ de l’heure lors de l’enquête préliminaire – soit plus de deux fois le tarif de l’aide juridique – et avait déjà coûté 142 000 $, soit près de trois fois le budget qu’Aide juridique Ontario avait prévu pour la cause toute entière. Le juge Shaughnessy a donc accordé l’ordonnance.
145 L’avocat qui représentait Aide juridique Ontario lors de l’audience, a expliqué au juge Shaughnessy qu’il était difficile à Aide juridique Ontario de gérer les ordonnances Rowbotham si le processus d’aide juridique n’est pas appliqué. Il a noté que des négociations étaient en cours avec la Couronne pour établir un protocole afin de gérer de telles ordonnances, mais que ce protocole n’était pas encore en place. L’ordonnance a été rendue, mais la question de sa gestion est restée en suspens.
146 Lors de la phase préalable au procès, alors que l’ordonnance Rowbotham avait été rendue, M. Wills s’est plaint de ne pas pouvoir trouver d’avocat au tarif de l’aide juridique. Il a donc demandé une augmentation de fonds. Comme il l’a dit au juge Shaughnessy : « La façon dont vous essayez de dire que cette affaire devrait être arrangée… eh bien ça ne va pas se faire, compris? »
147 Le 18 mars 2005, un avocat de la défense, un certain Ken Murray, est comparu devant le juge Shaughnessy et a déclaré qu’il était en pourparlers avec M. Wills, mais qu’il avait besoin de temps. Et puis lui aussi a été écarté.
148 Le 5 avril 2005, une nouvelle avocate de la défense, Mme Cynthia Wasser, a demandé un ajournement jusqu’au 21 avril 2005, pour qu’elle ait le temps d’explorer la question de ses honoraires provisionnels. Elle a expliqué au juge et à la Couronne qu’elle était prête à accepter un mandat de représentation à 200 $ de l’heure, alors que son tarif horaire ordinaire était de 375 $ de l’heure. Elle a également demandé à avoir un coavocat à ce même tarif, plus la prise en charge des dépenses et des déplacements, avec un premier bloc autorisé de 200 heures pour examiner les dossiers, rencontrer son coavocat et M. Wills. Elle a dit qu’après son examen initial, elle serait en position d’estimer le nombre d’heures nécessaires pour préparer le procès et y prendre part. Elle a aussi précisé qu’il lui faudrait peut-être nécessaire engager un stagiaire en droit pour l’aider dans ses recherches.
149 Aucune entente n’a été conclue entre la Couronne et Mme Wasser et, le 21 avril 2005, celle-ci a essentiellement demandé une ordonnance Fisher, autorisant les services d’un avocat rémunéré par l’État à un tarif supérieur et selon des modalités différentes de ceux de l’aide juridique. Elle a démontré que M. Wills avait fait de très réelles tentatives pour trouver un avocat qui accepte de le représenter conformément à l’ordonnance Rowbotham. Elle a ensuite donné une explication particulièrement convaincante des raisons pour lesquelles elle et les autres avocats en droit criminel étaient dans l’incapacité de défendre des causes aux tarifs de l’aide juridique :
Quand j’ai été admise au barreau en 1987, le tarif auquel j’étais payée [pour l’aide juridique] était d’environ 67 $ de l’heure. Il est maintenant de 92,34 $ de l’heure. J’ai reçu en moyenne une augmentation d’à peu près 1,30 $ par an et par heure. Franchement, c’est une insulte. Non seulement c’est une insulte envers la plupart de nous, qui travaillons si fort et qui sommes si dévoués à notre profession, mais avec ce tarif il nous est devenu presque impossible de tenir le coup dans la ville de Toronto et dans ses environs. Les coûts d’exercice ont considérablement augmenté. Les salaires du personnel ont augmenté, les impôts des entreprises ont augmenté, les droits d’adhésion au Barreau ont augmenté et les frais d’assurance aussi. Le coût de la vie a augmenté… La plupart des avocats en droit criminel qui ont acquis un certain niveau d’expérience ont tout simplement cessé d’accepter les mandats de représentation d’aide juridique, car ce n’est pas viable pour eux. Beaucoup de nous qui croyons ne plus pouvoir l’accepter continuent cependant de prendre de temps à autre une cause d’aide juridique pour bien faire, quand les circonstances l’exigent. Mais nous devons nécessairement nous limiter. Si nous menons notre cabinet d’avocats à la faillite, c’est l’effondrement total et sans raison…
Le régime d’aide juridique en Ontario est en crise et notre Procureur général le sait.
150 Le 28 avril 2005, le juge Shaughnessy a rendu sa décision sur cette requête informelle d’ordonnance Fisher. De nouveau, il a évoqué la personnalité de M. Wills et ses penchants pour antagoniser le témoin, les jurés et l’avocat, de même que les défis qu’il poserait pour le juge. Tout en notant qu’une « mauvaise conduite ne peut pas et ne devrait pas être récompensée en accordant à l’accusé tout ce qu’il désire », le juge Shaughnessy a rendu l’ordonnance, avec cette explication :
Les faits de cette cause, l’historique de la procédure et les frais encourus par le ministère du Procureur général quant à la nomination d’un amicus curiae, pris globalement, semblent indiquer que les circonstances de cette affaire et les traits de personnalité de l’accusé sont tels qu’un procès équitable ne peut avoir lieu que s’il est représenté par un avocat qualifié et chevronné. La preuve est devant le tribunal qu’il n’est pas possible de trouver un avocat compétent et chevronné dans les circonstances particulières de cette cause si les frais juridiques sont payés au tarif de l’aide juridique…
Faute d’un financement raisonnable et suffisant pour l’avocat, le potentiel d’une procédure injuste est bien réel…
151 Le juge Shaughnessy a rendu l’ordonnance Fisher avec les exigences suivantes :
Mme Wasser sera rétribuée pour ses frais juridiques au tarif de 200 $ de l’heure, payables par le Procureur général. Un avocat adjoint sera payé 140 $ de l’heure, par le Procureur général. Les déplacements des avocats seront rémunérés au tarif de 40 $ de l’heure, plus 40 cents du kilomètre, payables par le Procureur général. En temps voulu, après examen et préparation de la cause, l’avocat de la défense présentera un budget pour la procédure préparatoire au procès, pour les requêtes préliminaires et pour le procès. S’il est approprié et nécessaire de le faire, un stagiaire en droit pourra être engagé pour procéder à des recherches et à des entrevues, au tarif de 50 $ de l’heure. Toutes contestations de comptes devront m’être présentées. Tous les paiements seront effectués par le ministère du Procureur général.
152 Peu de temps après l’ordonnance Fisher, Mme Wasser est devenue avocate commise au dossier de M. Wills. En l’absence d’une ordonnance administrative, elle a tenté d’établir un protocole de paiement. Le procureur de la Couronne intérimaire l’a avisée qu’elle devait présenter ses factures au procureur adjoint de la Couronne qui s’occupait de l’affaire. Mme Wasser a protesté, précisant que dans d’autres causes de ce type les comptes étaient présentés au Ministère. Finalement, la question a été adressée à Mme Thompson, au Bureau des avocats de la Couronne. Elle a reçu et examiné les comptes de Mme Wasser et a reçu pour ordre de ne pas discuter de l’affaire avec les avocats de la Couronne.
153 Dès lors, Mme Thompson a géré les comptes de Mme Wasser en les examinant et en obtenant des renseignements supplémentaires au besoin – et ceci jusqu’au 6 septembre 2005, quand M. Wills a renvoyé Mme Wasser et sa coavocate, Mme Breese Davies. Durant la période où toutes deux avaient représenté M. Wills en justice, elles avaient veillé aux requêtes préliminaires et avaient passé en revue la divulgation massive des faits, cumulant des frais juridiques de 77 375 $.
154 M. Wills a finalement dit au juge Shaughnessy que lui et Mme Wasser ne pouvaient pas travailler ensemble, car il « ne voulait pas être muselé ou laisser quelqu’un pirater sa cause ». Durant les deux mois qui ont suivi, il est comparu aux audiences préliminaires sans être représenté par un avocat.
155 Le 28 octobre 2005, préoccupé du fait que M. Wills ne trouverait peut-être pas d’avocat pour travailler à sa cause avant que ne commencent les requêtes préliminaires, le juge Shaughnessy a nommé de nouveau M. Borenstein à titre d’amicus curiae. Craignant que même si M. Wills parvenait à trouver un avocat à temps, il pourrait fort bien le limoger au cours du procès, le juge Shaughnessy a demandé à M. Borenstein de rester disponible et en attente. M. Borenstein a été payé à 200 $ de l’heure pour ses services et 100 $ de l’heure pour la mise en attente (jusqu’à cinq heures par jour) pour tous les jours d’audience prévus. Les coûts grimpaient, mais le pire était encore à venir.
156 Le 29 novembre 2005, comparaissant alors devant la juge d’instance désignée, Madame la juge Fuerst, M. Wills a déclaré qu’il voulait nommer un avocat, M. Munyonzwe Hamalengwa, à titre de « coavocat » conformément à l’ordonnance Fisher. M. Wills a indiqué qu’il avait l’intention de continuer de parler au tribunal et d’interroger personnellement les témoins, comme il l’entendait, tandis que M. Hamalengwa participerait à sa défense selon ses instructions. Cette requête, faite officiellement le 5 décembre 2005 alors que M. Hamalengwa n’était même pas au pays, a été rejetée. La juge Fuerst a décidé que l’ordonnance Fisher ne s’appliquait pas à un avocat agissant de la sorte dans la défense d’un accusé.
157 M. Wills a insisté pour obtenir confirmation que la Couronne respecterait l’ordonnance Fisher si un nouvel avocat était désigné. M. Kenneth Campbell, directeur, Bureau des avocats de la Couronne – droit criminel, a écrit à la juge Fuerst pour lui confirmer que l’ordonnance Rowbotham serait respectée. Mais ceci n’a toujours pas satisfait M. Wills. M. Campbell a donc modifié sa lettre, indiquant que l’ordonnance Fisher serait respectée elle aussi.
158 Le 22 décembre 2005, M. Hamalengwa est finalement comparu au tribunal en personne et a demandé un ajournement de six semaines, jusqu’au 18 ou 19 janvier 2006, pour régler la question de ses honoraires provisionnels. Soucieuse à juste titre d’entreprendre ce procès longuement retardé, la juge Fuerst a fait un compromis et a ajourné l’affaire jusqu’au 4 janvier, mais M. Hamalengwa ne s’est pas présenté alors. Il a envoyé un message à l’avocat de la Couronne disant qu’il n’avait pas fini de régler la question de ses honoraires provisionnels et a demandé de nouveau un ajournement jusqu’au 19 janvier. La juge Fuerst a accepté de remettre les choses jusqu’au lendemain. Mais M. Hamalengwa ne s’est toujours pas présenté et M. Wills n’a pas coopéré pour établir un échéancier de requêtes. L’affaire a donc été remise jusqu’au 19 janvier.
159 M. Wills est resté insatisfait de la promesse écrite faite par M. Campbell de se conformer aux ordonnances Rowbotham et Fisher. Dans une lettre adressée à M. Campbell, datée du 2 janvier 2006, M. Hamalengwa exprime ses « graves » préoccupations quant à l’énoncé de la lettre de M. Campbell et fait allusion aux problèmes que Mme Wasser avait eus quant au paiement de ses frais juridiques. Le Bureau du procureur général maintient qu’il n’a reçu cette lettre que le 30 mai 2006 – soit après les difficultés de M. Hamalengwa à obtenir le règlement de ses factures. Ce qui importe, c’est qu’au début janvier, pour éliminer un obstacle apparent à la désignation d’un avocat, la juge Fuerst a une fois de plus enjoint au Procureur général d’apaiser les doutes de M. Wills. Le 18 janvier 2006, M. Campbell a donc écrit de nouveau et a fourni plus de détails au sujet de l’engagement pris par le Ministère de payer des factures raisonnables d’honoraires et de débours. Il a aussi confirmé que ni ces comptes, ni aucun renseignement à leur sujet, ne seraient communiqués à l’avocat de la Couronne et il a noté que les factures devraient être envoyées directement à son bureau. Dans sa correspondance, M. Campbell n’a jamais fait aucune allusion au fait que le Procureur général avait pour habitude d’examiner les comptes d’Aide juridique Ontario.
160 Le 19 janvier 2006, M. Hamalengwa est devenu l’avocat commis au dossier de M. Wills. Il a demandé un ajournement pour examiner le dossier et l’affaire a été reportée jusqu’au 2 mars 2006.
161 Le 24 janvier 2006, M. Hamalengwa a présenté sa première facture au Ministère, pour un total de 17 241,85 $. Cette facture comprenait des renseignements détaillés. Mme Thompson a avisé M. Hamalengwa qu’il ne devrait pas fournir au Ministère des renseignements détaillés de facturation en raison du secret professionnel. Elle lui a demandé de présenter des comptes détaillés à Aide juridique Ontario, à des fins d’examen.
162 Un mois plus tard, M. Hamalengwa a écrit à Mme Thompson, notant que comme elle le lui avait demandé, il avait présenté sa facture accompagnée de tous les détails à la directrice des Services aux avocats et paiements, à Aide juridique Ontario. M. Hamalengwa était troublé d’avoir dû le faire. Il a souligné que rien dans les ordonnances judiciaires ne stipulait qu’Aide juridique Ontario doive valider ses comptes. Il a demandé qu’on lui montre les documents indiquant où cette obligation était énoncée et il a voulu savoir qui avait décidé de soumettre ses comptes à examen.
163 Le 2 mars 2006, la directrice des Services aux avocats et paiements a écrit à Mme Thompson, au Ministère, à propos de la facture que M. Hamalengwa lui avait soumise. Elle l’avait approuvée car le nombre d’heures facturé jusqu’alors aurait été approprié s’il s’était agi d’un dossier d’aide juridique, sous réserve d’une demande d’augmentation discrétionnaire. Elle a déclaré que le temps passé (75 heures du 21 novembre 2005 au 22 janvier 2006) correspondait à ce que pourrait exiger une cause de ce type. Elle a aussi fait une mise en garde : si cette affaire avait été une cause d’aide juridique, elle serait passée au programme de la Gestion des causes majeures et un budget aurait été établi. Comme la directrice des Services aux avocats et paiements avait approuvé cette facture, le Ministère l’a réglée 11 jours plus tard.
164 Mme Thompson a reçu la seconde facture de M. Hamalengwa le 8 mars 2006, datée du 6 mars, pour un total de 28 220,22 $. Cette fois, la facture ne comprenait aucun détail, pas même celui des heures. Mme Thompson a téléphoné au bureau de M. Hamalengwa et elle a été informée que ce total représentait 122,9 heures de temps de travail et 9 heures de déplacements.
165 Ce même jour, M. Hamalengwa a écrit à la directrice des Services aux avocats et paiements, avec copie de sa lettre à Mme Thompson, pour dire essentiellement qu’il refusait de soumettre le détail de ses comptes à Aide juridique Ontario. Il a argumenté qu’en l’absence de toute exigence de supervision des comptes de l’avocat par un tiers dans l’ordonnance Fisher, les « heures consacrées à cette cause sont par conséquent illimitées ».
166 Le jour suivant, soit le 9 mars 2006, Mme Thompson a écrit à Ruth Lawson, présidente-directrice générale intérimaire d’Aide juridique Ontario, demandant assistance dans l’affaire Wills. Elle a fait référence à des discussions précédentes qu’elle et Mme Lawson avaient eues avec le directeur de la Gestion des causes majeures et Robert McCreary, alors procureur de la Couronne à Newmarket. Elle a expliqué qu’à sa connaissance, d’après ce qu’avait dit le procureur adjoint de la Couronne Harold Dale, après la divulgation initiale, le juge Shaughnessy avait prescrit que les comptes de l’avocat de la défense soient examinés par un tiers indépendant, c.-à-d. par Aide juridique Ontario. Elle a demandé qu’Aide juridique Ontario lui fasse connaître par écrit sa position avant le 28 avril 2006, date où la question devait revenir au juge Shaughnessy.
167 Dans sa réponse à Mme Thompson, datant du 27 mars 2006, la directrice des Services aux avocats et paiements a noté que M. Hamalengwa avait refusé le processus de supervision de ses comptes par un tiers, à savoir Aide juridique Ontario. Elle a déclaré qu’Aide juridique Ontario aidait à gérer de tels comptes par « mesure de courtoisie » et a émis cette mise en garde : avant d’accepter d’assumer un rôle continu, Aide juridique Ontario apprécierait que le Procureur général parvienne à une entente mutuelle avec M. Hamalengwa. Elle a ajouté que ceci était important car Aide juridique Ontario traitait habituellement les cas importants comme celui de M. Wills dans le cadre de son programme de Gestion des causes majeures, qui fait appel à la coopération de l’avocat.
168 Deux semaines plus tard, le 10 avril 2006, la directrice des Services aux avocats et paiements a écrit à M. Hamalengwa que la question du rôle de soutien d’Aide juridique Ontario, si rôle il y avait, dans le règlement de ses comptes pour cette affaire devrait être résolue entre lui et le Bureau des avocats de la Couronne – droit criminel. Elle a demandé qu’il ne lui envoie aucun autre document ou facture tant que cette question ne serait pas clarifiée.
169 Le 11 avril 2006, le Ministère a reçu la troisième facture de M. Hamalengwa, d’un montant de 31 871,56 $. Aucun détail n’était donné. La semaine suivante, il a écrit à Mme Thompson, soulignant de nouveau que l’ordonnance Fisher d’origine ne faisait aucune mention d’un examen par un tiers, pas plus que ne le faisaient les lettres de M. Campbell à la juge Fuerst.
170 Le 28 avril 2006, Mme Thompson a remis un chèque à M. Hamalengwa, au tribunal, pour un montant de 28 220,22 $, soit le règlement de sa seconde facture.
171 Le 18 mai 2006, Michal Fairburn, avocate de la Couronne, Bureau des avocats de la Couronne – droit criminel, ministère du Procureur général, a écrit à M. Hamalengwa à propos de son refus de présenter des relevés de comptes à Aide juridique Ontario :
Vous devez comprendre que c’est une façon tout à fait inacceptable de procéder. Pour parler clairement, précisons que ce n’est pas parce que quelqu’un remet en question votre intégrité, mais plutôt parce que nous avons le devoir envers le public de gérer les fonds des contribuables de manière responsable, en rendant des comptes… Cet objectif devient d’autant plus important dans une cause comme celle-ci, où il est tout à fait raisonnable de prévoir que le processus de facturation s’étendra sur une longue période et mettra en jeu des fonds publics considérables.
172 Le lendemain, le 19 mai 2006, le Ministère a reçu la quatrième facture de M. Hamalengwa, pour un montant de 43 377,41 $, sans aucun détail. Le 25 mai 2006, M. Hamalengwa a répondu à la lettre de Mme Fairburn, demandant de nouveau en quoi l’examen de ses comptes par un tiers était justifié.
173 L’inquiétude grandissait au Ministère quant à la nature du travail pour lequel un paiement était exigé dans l’affaire Wills. Le Ministère s’interrogeait évidemment sur le total facturé et se demandait si les dépenses étaient vraiment justifiées. M. Hamalengwa était même allé à la Cour suprême du Canada pour contester l’une des ordonnances d’échéancier rendue par la juge Fuerst; la Cour avait rejeté sa requête le 26 mai 2006, acceptant la position prise par le Procureur général que cette requête était frivole et confirmant que les coûts de cette requête ne devraient pas être couverts par l’ordonnance Fisher.
174 Pris par ces inquiétudes, le ministère du Procureur général a donc retardé le versement de 70 000 $ pour les factures présentées par M. Hamalengwa, qui s’est plaint à la juge Fuerst à propos du règlement de ses comptes le 29 mai 2006. La juge a obtenu l’assurance de l’avocat du Procureur général que ces comptes seraient réglés et a ordonné le commencement des requêtes préliminaires. Une requête déposée par la défense demandant la permission que M. Wills puisse s’asseoir à la table de son avocat a alors eu préséance sur l’ordre des requêtes déterminé par la juge Fuerst. Remarquablement, cette requête a été entendue en neuf jours, entre le 29 mai et le 27 juin, et la juge Fuerst a finalement accédé à cette requête le 11 septembre 2006, sous réserve de certaines conditions.
175 La situation laissait clairement à désirer. Alors que le Ministère était légalement tenu de prendre en charge les coûts de la défense, il ne pouvait pas demander la divulgation de renseignements suffisants pour s’assurer du bien-fondé des comptes, en raison du caractère privilégié de tels renseignements. Et comme M. Hamalengwa refusait de soumettre ses comptes à l’examen d’Aide juridique Ontario, conformément à la pratique, le Ministère était contraint de débourser sans vérifier que les fonds publics étaient sagement dépensés. Le procès n’avait pas même commencé – et la facture approchait rapidement du total de 200 000 $.
176 Face à cette impasse, le 6 juin 2006, Mme Fairburn a présenté une requête au juge Shaughnessy lui demandant des instructions au nom du Ministère. Alors que son client l’interrompait fréquemment, M. Hamalengwa a argumenté qu’un examen par un tiers, à savoir par Aide juridique Ontario, ne relevait pas de l’ordonnance du juge et n’était aucunement mentionné dans les lettres de M. Campbell. M. Hamalengwa est même allé jusqu’à suggérer que le Ministère faisait cette requête pour des motifs racistes, étant donné qu’il n’avait imposé pareille exigence ni à Mme Wasser, ni à l’amicus curiae M. Borenstein[23].
177 Le juge Shaughnessy a indiqué clairement qu’il avait toujours eu l’intention que les comptes de l’avocat soient soumis à une forme de supervision financière :
Le montant des paiements a été déterminé, et détaillé, mais tout au long des diverses demandes, il est apparu qu’un processus s’avérait nécessaire pour satisfaire aux exigences de responsabilisation. Ceci ressort même de la transcription du 28 avril 2005… À mon avis, le programme de Gestion des causes majeures devient l’entité logique pour gérer ce processus de règlement des comptes.
La question posée au tribunal est de savoir si un tiers indépendant devrait examiner les comptes et déterminer les budgets de la défense conformément aux exigences de responsabilisation quant aux fonds publics, tout en protégeant le secret professionnel de l’avocat.
178 Par conséquent, le juge Shaughnessy a rendu l’ordonnance suivante, en addendum à son ordonnance du 28 avril 2005 :
J’ordonne et je prescris par la présente que l’avocat de M. Wills rencontre Aide juridique Ontario conformément aux règles du « Programme de Gestion des causes majeures » afin de déterminer un budget des heures requises pour clore cette cause.
J’ordonne et prescris par la présente que l’avocat de M. Wills soumette toutes ses notes d’avocat et tous ses relevés de facturation à Aide juridique Ontario, pour que ces comptes soient validés et approuvés par le personnel d’Aide juridique Ontario.
179 Quand M. Hamalengwa a demandé au juge Shaughnessy ce qu’il entendait par l’expression « validation par Aide juridique », celui-ci a répondu : « Valider, je pense, signifie examiner, additionner, vérifier que les calculs sont corrects. C’est le genre de détails, je crois, mais comprenez qu’il ne s’agit pas d’un compte d’Aide juridique. »
180 M. Hamalengwa a rétorqué : « Comment Aide juridique peut-elle dire si on a besoin de tant d’heures, ou qu’on a pas besoin de tant d’heures? »
181 Le juge Shaughnessy a demandé à M. Hamalengwa s’il avait jamais participé au processus de Gestion des causes majeures et a suggéré « qu’il devrait y avoir une rencontre pour structurer » ce processus et que M. Hamalengwa pourrait alors indiquer les heures qu’il prévoyait consacrer à cette cause. M. Hamalengwa s’est inquiété de la possibilité de requêtes inattendues et a expliqué qu’il ne voulait pas se laisser enfermer dans une « camisole de force » par Aide juridique Ontario. Le juge Shaughnessy l’a rassuré en ces termes :
Ce n’est pas l’argent d’Aide juridique. L’argent vient du Bureau des avocats de la Couronne, et c’est pourquoi les restrictions et préoccupations budgétaires qu’aurait tout autrement Aide juridique ne prennent pas la même forme que celles de l’ordonnance « Fisher »…
182 Le 8 juin 2006, Mme Thompson a écrit à la directrice des Services aux avocats et paiements, à Aide juridique Ontario, avec en pièce jointe une copie de l’ordonnance du juge Shaughnessy datant du 6 juin, lui demandant de confirmer qu’Aide juridique Ontario était prête à porter assistance. Mme Thompson a fait suivre au directeur de la Gestion des causes majeures, à titre d’information, les quatre comptes qu’elle avait payés à M. Hamalengwa. Elle a informé notre équipe d’enquête qu’elle avait agi ainsi parce qu’elle croyait que l’argent déjà déboursé devrait être pris en compte dans l’élaboration d’un budget. Le Ministère était alors confiant qu’Aide juridique Ontario veillerait à ce qu’un budget raisonnable soit établi et respecté, conformément à sa pratique. Malheureusement, quand la gestion du financement est tombée entre les mains d’Aide juridique Ontario, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.
183 Le directeur de la Gestion des causes majeures a écrit à M. Hamalengwa le 14 juin 2006, avec copie de sa lettre aux juges Fuerst et Shaughnessy, à la directrice des Services aux avocats et paiements, à Mme Thompson au Ministère, ainsi qu’à MM. Harold Dale et Jeffrey Pearson, procureurs adjoints de la Couronne dans l’affaire Wills. Dans cette lettre, il a écrit :
Nous avons été avisés de l’ordonnance du juge Shaughnessy du 6 juin 2006, et nous sommes heureux de nous y conformer dans toute la mesure du possible par mesure de courtoisie pour le tribunal, votre client et le Bureau du Procureur général. À cet égard, veuillez avoir l’amabilité de remplir le Formulaire d’opinion pour les procès dès que vous le pourrez et le renvoyer au soussigné…
Une fois que ce formulaire dûment complété nous sera parvenu, nous organiserons une rencontre dans les plus brefs délais à votre convenance pour déterminer un budget, conformément à notre processus habituel…Notre rôle sera de gérer le processus budgétaire prescrit par l’ordonnance conformément à nos politiques et procédures, exception faite des tarifs de rémunération prescrits.
M. Hamalengwa a rempli le formulaire, mais a laissé certaines parties en blanc, et certains des renseignements indiqués par lui n’étaient pas suffisamment précis pour établir un budget. C’est pourquoi, le 6 juillet 2006, le directeur de la Gestion des causes majeures lui a écrit pour lui demander des précisions. Le directeur lui a aussi précisé que si le budget de cette cause devait surpasser la somme de 75 000 $, il serait normalement convoqué à une réunion du Comité des exceptions.
184 Le 26 juillet 2006, le directeur de la Gestion des causes majeures a écrit de nouveau à M. Hamalengwa, faisant référence à l’ordonnance du juge Shaughnessy et proposant ce qui suit :
… nous devrions peut-être nous rencontrer pour discuter un certain nombre d’éléments relatifs à la directive de gestion des causes auxquels vous n’avez pas pu répondre, notamment les points suivants, mais non exclusivement :
-
Défenses envisagées
-
Estimation des heures de préparation avant et durant le procès
-
Estimation de la durée du procès
-
Requêtes envisagées par la défense et anticipées de la Couronne
-
Questions de divulgation résolues et questions de divulgation non résolues
-
Raisons d’une requête pour un coavocat
-
Requête de débours détaillés
185 Le directeur de la Gestion des causes majeures s’est montré anxieux de bien faire, notant ceci :
Nous reconnaissons que cette affaire est exceptionnellement difficile et que le tribunal a requis un tarif horaire de préparation supérieur au tarif d’AJO. C’est pourquoi nous souhaitons contribuer du mieux possible à garantir que ce processus soit expéditif et accommodant pour vous, tout en gardant à l’esprit que nous devons garantir le respect de notre processus habituel.
186 Mais M. Hamalengwa n’a pas fait ce qu’on attendait de lui. Au contraire, le 17 août 2006, il a écrit au directeur de la Gestion des causes majeures et a joint une transcription partielle de la procédure du 6 juin 2006, à laquelle il a fait référence en employant le mot de « clarification ». Il a noté pour conclure : « J’espère que vous avez maintenant ‘validé’ mon dernier compte en vue d’un paiement. » Cette « clarification » était l’explication précédemment mentionnée qu’avait donnée le juge Shaughnessy du terme « validation » et les commentaires faits par le juge en réponse à l’inquiétude qu’avait M. Hamalengwa d’être mis dans une « camisole de force » par Aide juridique Ontario.
187 M. Hamalengwa a rencontré le directeur de la Gestion des causes majeures le lendemain. Le directeur a dit à notre équipe d’enquête que, lors de cette rencontre, s’appuyant sur la transcription de son dialogue avec le juge, M. Hamalengwa avait insisté qu’il n’était nullement tenu de fournir les renseignements demandés par Aide juridique Ontario. Le directeur a déclaré que M. Hamalengwa avait maintenu qu’Aide juridique Ontario avait pour seule responsabilité de « faire les calculs » et ne pouvait pas restreindre sa conduite de la défense. M. Hamalengwa avait aussi déclaré qu’il considérait que ses fonds étaient « illimités » et qu’il devrait travailler de 15 à 18 heures par jour. Enfin – dans une précision qui aurait dû signaler un dérapage – le directeur a expliqué que M. Hamalengwa lui avait dit qu’il n’était pas en mesure d’établir un budget car il laissait l’énoncé des requêtes à M. Wills.
188 Étonnamment, le directeur de la Gestion des causes majeures semble avoir accepté la position de M. Hamalengwa. Il a reconnu qu’il n’appartenait pas à Aide juridique Ontario d’établir un budget et que l’organisme devrait tout simplement « faire les calculs ». Toutefois, le directeur nous a dit qu’en plus de vérifier les calculs, il avait été attentif à des signes évidents de fraude.
189 Il me semble évident que la raison pour laquelle le directeur de la Gestion des causes majeures a accepté cette position de quasi-non-intervention était qu’Aide juridique Ontario considérait la validation des comptes du Ministère comme une simple question de courtoisie. Quand notre équipe d’enquête lui a fait remarquer que l’ordonnance stipulait en fait qu’il devait y avoir examen et validation des comptes, conformément aux méthodes de Gestion des causes majeures, sa réaction a été de nier la responsabilité d’Aide juridique Ontario. Il a maintenu que, conformément à l’ordonnance du juge Shaughnessy, c’était à M. Hamalengwa qu’il appartenait d’établir un budget avec Aide juridique Ontario et que le rôle d’Aide juridique Ontario était « tangentiel » quant à l’ordonnance de financement. Selon la jurisprudence, a-t-il déclaré, les ordonnances judiciaires n’avaient pas caractère exécutoire pour l’organisme.
190 Le directeur de la Gestion des causes majeures a dit à notre équipe d’enquête qu’il avait parlé de cette réunion à la directrice des Services aux avocats et paiements, qui était alors sa supérieure. Il a précisé qu’il avait alors eu le sentiment d’être pris « entre marteau et enclume ». Il a dit qu’il n’avait pas reçu d’instructions d’aviser le Ministère de la situation et que, n’importe comment, il craignait que le faire reviendrait à divulguer les commentaires de M. Hamalengwa disant que celui-ci comptait laisser à M. Wills les décisions quant aux requêtes. Or le directeur considérait que cette question relevait du secret professionnel de l’avocat et ne pouvait être divulguée.
191 C’est pourquoi le directeur de la Gestion des causes majeures n’a pas cherché à communiquer avec Mme Thompson pour l’aviser que M. Hamalengwa se faisait de l’ordonnance une opinion différente de celle du Ministère – opinion que lui, le directeur, avait acceptée. Il n’a pas même essayé d’examiner la transcription intégrale. Par contre, le 21 août 2006, il a écrit ceci à Mme Thompson à propos d’une facture datée du 25 juin 2006 et présentée par M. Hamalengwa, pour un total de 67 566,25 $ :
Nous avons examiné les détails des comptes et déterminé que les comptes étaient valides, à la fois pour les honoraires et pour les débours, et c’est pourquoi nous vous recommandons de les payer comme convenu.
Veuillez également noter que nous avons rencontré M. Hamalengwa pour discuter des directives de gestion des causes et des exigences budgétaires pour le reste de cette cause.
Il ne faut donc pas s’étonner que cette lettre, qui laissait entendre que des discussions avaient eu lieu à propos du budget, ait porté Mme Thompson à croire que le processus budgétaire progressait comme le voulait le Ministère, et comme l’avait ordonné le juge Shaughnessy.
192 Durant tout l’automne de 2006, le directeur de la Gestion des causes majeures a continué de valider les comptes de M. Hamalengwa en faisant simplement « une addition des calculs » et en cherchant à repérer des signes évidents de fraude, par exemple « des voyages tous frais compris pour Hawaï », comme il l’a dit. Les calculs étaient justes. Le 19 octobre, le total était de 26 441,81 $; le 3 novembre, il était de 50 307,98 $ pour M. Hamalengwa plus 5 130,40 $ pour son coavocat, Richard Stern. (M. Stern a été très vite remplacé par Samuel Willoughby, devenu co-avocat pour une période de deux mois avant d’être limogé par M. Wills.)
193 La validation automatique des comptes a continué. Le directeur de la Gestion des causes majeures a validé les comptes de M. Hamalengwa, comme suit :
Le 8 janvier 2007 :
59 147,63 $, du 29 septembre 2006
51 313,74 $, du 31 octobre 2006
52 056,96 $, du 30 novembre 2006
Le 28 février 2007 :
40 036,32 $, du 1er février 2007
71 100,04 $, du 22 février 2007
Le 19 avril 2007 : 62 564,41 $, du 12 avril 2007
Le 27 avril 2007 : 11 564,06 $ (pour le travail effectué par M. Willoughby en décembre et janvier)
Le 9 mai 2007 : 76 385,00 $
Le directeur a envoyé chacun de ces comptes à Mme Thompson, avec cette indication trompeuse :
Nous avons déterminé que le compte est valide, aussi bien pour les honoraires que pour les débours, et nous vous recommandons de le payer [à M. Hamalengwa] dans les meilleurs délais.
194 Le directeur de la Gestion des causes majeures nous a concédé que, même quand il s’était aperçu que les demandes de paiement de M. Hamalengwa étaient « hors normes », il avait envoyé cette même lettre. En guise d’explication, il nous a déclaré qu’il est difficile de déterminer si des rajustements « hors normes » sont inappropriés « quand on ne fait pas la gestion de la cause ».
195 Il est impossible de dire précisément quels honoraires et débours auraient été rejetés si un processus pertinent de validation avait été suivi, mais deux choses sont certaines : des frais juridiques considérables étaient entraînés par des requêtes sans fin qui s’avéraient presque toujours sans succès. Ainsi, une requête en vertu de l’article 11 b) de la Charte pour un sursis de l’instance, en raison d’un retard déraisonnable, a été rejetée car il était clair que le retard était causé en majeure partie par M. Wills. Une requête pour le changement du lieu du procès présentée en raison d’une « publicité préjudiciable préalable au procès » a été écartée parce que c’était M. Wills lui-même qui avait attiré l’attention des médias. En effet, il avait demandé au tribunal d’ordonner que la Police régionale de York publie un communiqué de presse disant que son procès avait commencé, il avait tenté lui-même de faire un communiqué de presse annonçant qu’il entamait une grève de la faim, et il avait demandé à la juge Fuerst de lever une ordonnance de non-publication qu’elle était légalement tenue de laisser en place. Il y avait eu aussi une requête longue mais complètement inutile de libération sous caution, une tentative absurde de permettre à M. Wills de contre-interroger personnellement les témoins, et même une requête demandant l’exhumation de la dépouille de Mme Mariani pour que le corps puisse être examiné par un pathologiste non identifié. Pour reprendre les mots de la juge Fuerst, cette dernière tentative était « tout simplement de l’aveuglette ». Mais toutes ces requêtes désespérées ont été présentées aux frais du public, sans examen.
196 Le 9 mai 2007, le directeur de la Gestion des causes majeures a envoyé un message électronique à la directrice des Services aux avocats et paiements, après avoir découvert que les comptes de l’affaire Wills examinés par Aide juridique Ontario atteignaient presque le demi-million de dollars – très précisément 490 253,89 $. Il a noté ceci :
PVI
Nous avons complètement dépassé nos bornes financières ici, mais le calcul de ses comptes est juste. Dans un monde réel, nous devrions percevoir des frais de gestion de 9 %, soit 44 123 $.
197 Le directeur de la Gestion des causes majeures était évidemment préoccupé par les sommes considérables qui étaient facturées, mais il est troublant et regrettable de constater que son principal souci venait apparemment du fait qu’Aide juridique Ontario ne soit pas rétribuée pour l’examen des comptes dans l’affaire Wills (alors que cet organisme recevait des frais de gestion de 9 % sur les comptes fédéraux). En parlant de « monde réel », si la gestion des comptes faite par Aide juridique Ontario doit susciter une réaction, c’est bien l’indignation.
198 Quand l’avocat pour Aide juridique Ontario, était comparu devant le juge Shaughnessy le 2 février 2005, il avait indiqué que la Couronne et Aide juridique Ontario étaient en pourparlers généraux pour établir un protocole de gestion des ordonnances Rowbotham. Cependant, d’après nos entrevues avec les responsables d’Aide juridique Ontario, ces discussions étaient restées tout à fait informelles. Ce n’est que le 10 mai 2007 qu’Aide juridique Ontario a exprimé un renouveau d’intérêt à établir un protocole.
199 La directrice des Services aux avocats et paiements a écrit une note de service interne, intitulée « Examen des comptes pour les clients ne bénéficiant pas de l’aide juridique, sur demande de la Couronne ». Cette note de service soulignait le temps qu’exigeaient ces examens de la part d’Aide juridique Ontario, et précisait ce qui suit :
Bien que le nombre de comptes relatifs à ce processus ne soit pas élevé, leur traitement exige nécessairement du temps de la part des cadres supérieurs, les détournant de leur travail sur les dossiers d’AJO. Les affaires Rowbotham dont AJO a tenté de gérer le dossier sont les plus exigeantes du point de vue du temps. Elles exigent une correspondance avec l’avocat et nous devons donner notre opinion à la Couronne, négocier un budget et considérer continuellement les demandes d’autorisation de paiements.
200 Cette note de service poursuivait disait qu’en l’absence de directives sur la facturation, le personnel manquait souvent de détails pour se faire une opinion et pour déterminer s’il fallait payer une facture ou non. Dans cette situation, Aide juridique Ontario était sans pouvoir, et la note de service ajoutait :
Dans les causes où on demande à Aide juridique Ontario d’assurer la gestion, nous nous retrouvons dans une situation frustrante si l’avocat n’est pas d’accord avec notre participation. La gestion d’une cause dépend d’un accord réciproque à négocier… Dans une affaire qui ne bénéficie pas de l’aide juridique, AJO n’a pas de pouvoir de négociation et n’est qu’une tierce partie dans la relation entre le gouvernement et l’avocat.
La note de service se terminait par un plaidoyer pour la clarté :
Il serait utile de mettre par écrit le rôle de la Couronne et d’AJO, en indiquant notamment quels documents l’avocat doit fournir, comment les comptes sont acheminés ici, quelle forme devrait prendre la réponse d’AJO, l’importance de comprendre que l’avocat reçoit copie de notre réponse, quels renseignements la Couronne attend d’AJO, quoi faire si la négociation échoue, et quoi faire si un budget nominal est dépassé.
201 Le juge Shaughnessy s’est montré perspicace quand il a nommé un « ami de la cour » qui devait être en attente au cas où M. Wills limogerait son avocat. C’est exactement ce qu’il a fait : il a continué son carnage en renvoyant M. Hamalengwa, qui avait perçu 677 604,18 $ en honoraires juridiques et débours, payés par les deniers publics sur une durée de 18 mois – et ceci avant même que le premier témoin ne soit appelé[24].
202 M. Raj Napal a donc été promu de coavocat à avocat principal et cette nomination a été confirmée par ordonnance judiciaire le 18 mai 2007. Il a immédiatement écrit aux poursuivants en décrivant les 18 témoins experts que la défense comptait appeler à la barre.
203 Ces témoins comprenaient un pathologiste, un neuropathologiste, un médecin urgentiste, un expert en empreintes digitales, un neurologue, un spécialiste de la biomécanique, un kinésiologue, un expert en reconstitution des accidents et même des entomologistes, qui tous contesteraient les preuves avancées par la Couronne quant aux causes et circonstances qui entouraient la mort de Mme Mariani – à moins que la Couronne n’accepte l’interprétation avancée par la défense (c.-à-d. que Mme Mariani était tombée à la renverse dans les escaliers et qu’elle s’était cogné la tête sur le sol en céramique). M. Napal comptait également convoquer un psychologue légiste et/ou des experts de même type, à moins que la Couronne n’admette que M. Wills souffrait d’une maladie mentale et/ou de problèmes de comportement l’innocentant de ses actes envers Mme Mariani.
204 Mais pour appeler plus de cinq témoins experts à un procès, il faut l’approbation du juge[25]. Quand M. Napal a comparu devant la juge Fuerst, le 18 mai 2007, pour se substituer à M. Hamalengwa comme avocat commis au dossier, elle s’est dite très inquiète de la manière dont la défense procédait, étant donné qu’elle était financée par les deniers publics :
Je n’ai pas de problème à substituer votre nom à celui de M. Hamalengwa, mais je tiens à déclarer officiellement qu’il s’agit de fonds publics, et je n’essaie pas du tout de m’insinuer dans ce que vous faites pour savoir comment vous préparez et organisez la défense, néanmoins des fonds publics sont en jeu. Quand j’entends parler de la possibilité de convoquer jusqu’à 18 experts pour la défense, je dois forcément me demander s’il ne devrait pas y avoir une forme de processus d’examen quant au bien-fondé des débours et des honoraires…
205 M. Napal et M. Wills ont tous deux assuré à la juge Fuerst qu’un mécanisme d’examen était en place. Elle a accepté l’affirmation de M. Napal, mais elle est restée sceptique, faisant référence à « ce financement apparemment illimité qui était fourni ». Elle a dit que s’il n’y avait pas de mécanisme d’examen en place, elle considérerait très certainement d’en instaurer un.
206 Ce dont la juge Fuerst n’avait pas été informée, et ce que le ministère du Procureur général ne savait toujours pas, c’est qu’Aide juridique Ontario n’avait pas mis en place de système de contrôle pour les dépenses de la défense. Il n’y avait eu aucune estimation du nombre d’heures requises pour la préparation du procès et la présence au tribunal. Il n’y avait eu aucune évaluation pour déterminer si les requêtes proposées par la défense avaient des chances raisonnables de succès ou même si elles étaient nécessaires. Il n’y avait aucun budget du tout, et le mécanisme d’examen était pratiquement inexistant.
207 Pour être juste envers M. Napal, il faut préciser qu’il semblait lui aussi être dérouté par la nature de la supervision exercée par Aide juridique Ontario sur les comptes de l’avocat de la défense. Le 25 mai 2007, il a écrit au directeur de la Gestion des causes majeures pour l’aviser qu’il avait remplacé M. Hamalengwa. Il a indiqué alors qu’à sa connaissance, il devrait présenter une facture de même qu’une copie du relevé détaillé de ses heures de travail pour chacune de ses factures. Et toujours à sa connaissance, le directeur de la Gestion des causes majeures vérifierait et pointerait les heures de travail pour s’assurer qu’elles étaient exactes et correspondaient aux factures jointes. Il a aussi demandé à obtenir des copies des documents soumis par l’avocat précédent, afin d’éviter un travail redondant et « des dépenses inutiles de fonds publics pour mon rôle dans cette cause ».
208 On pourrait croire que toute l’histoire des coûts scandaleux de l’affaire Wills aurait éclaté le 30 mai 2007, quand le personnel du ministère du Procureur général a rencontré un groupe de travail d’Aide juridique Ontario pour considérer, entre autres, les ordonnances Rowbotham. Étonnamment, le procès-verbal de la réunion ne fait aucune référence à l’affaire Wills.
209 Mais le lendemain, soit le 31 mai 2007, la situation a finalement explosé. Le directeur de la Gestion des causes majeures a répondu à la lettre de M. Napal, datée du 25 mai, et a envoyé copie de sa réponse à Mme Thompson, au Ministère. Voici un extrait de sa lettre :
Par courtoisie pour le tribunal, pour le ministère du Procureur général et pour M. Hamalengwa qui était précédemment l’avocat général, nous avons simplement validé les comptes de l’avocat de la défense en vérifiant les calculs. Nous ne fournissons pas de copie des comptes détaillés au Ministère et nous ne conservons pas les comptes de tous les avocats précédents qui se sont occupés de l’affaire. C’est pourquoi nous vous demandons de nous fournir vos comptes détaillés ainsi qu’un sommaire séparé indiquant uniquement le total des honoraires et débours, sans aucun détail. …
Comme nous ne faisons pas la gestion de cette cause, nous vous suggérons d’obtenir toute documentation requise par vous en vous adressant directement à l’avocat précédent.
210 Le directeur de la Gestion des causes majeures a joint à cette missive au Ministère le compte de M. Napal daté du 24 mai 2007, pour un montant de 32 286,84 $, qu’il a validé comme d’habitude en indiquant « facturation jugée appropriée, à la fois pour les honoraires et les débours ».
211 Ce même jour, le directeur de la Gestion des causes majeures a parlé à Mme Thompson au téléphone. C’est durant cette conversation, décrite par Mme Thompson par voie d’affidavit, que tout s’est éclairé.
Le directeur de la Gestion des causes majeures m’a indiqué que cette affaire n’avait été soumise à aucun des processus de Gestion des causes majeures, comme l’établissement d’un budget raisonnable ou l’examen du bien-fondé des demandes et des débours. Fondamentalement, il m’a informée, pour la première fois, qu’il refaisait tout simplement les calculs de l’avocat et que si ces calculs étaient corrects, il envoyait les comptes « approuvés » aux fins de paiement.
J’ai été stupéfiée par ses commentaires, car j’ai immédiatement compris qu’il n’avait pas rempli le rôle que je croyais qu’il remplissait conformément à l’ordonnance du juge Shaughnessy datant du 6 juin 2006[26]. …
212 Mme Thompson a dit à notre équipe d’enquête que, quand elle a parlé au directeur de la Gestion des causes majeures, il lui a suggéré que ce qu’il fallait au Ministère, c’était un tiers indépendant – comme le Bureau du curateur public – pour examiner les comptes. Elle nous a déclaré :
J’ai été choquée. J’étais horrifiée. Je lui ai dit : « Ce sont des montants phénoménaux d’argent. » Il a répondu : « Je sais, s’il s’était agi d’une cause d’aide juridique, vous n’auriez probablement pas dépensé plus de 300 000 $. » Après, j’ai eu la nausée; j’ai vraiment eu la nausée et j’ai eu un sentiment de colère. Et je lui ai dit : « Mais pourquoi n’avez-vous rien dit si ça ne marchait pas? Pourquoi n’êtes-vous pas retourné au tribunal, pourquoi ne nous avez-vous pas appelés ou informés…
... il a répété : « Ça ne cadrait pas avec notre modèle de Gestion des causes majeures » et je lui ai répété : « Je ne comprends pas » …
213 Le directeur de la Gestion des causes majeures a gardé un souvenir quelque peu différent de cette conversation avec Mme Thompson. Voici ce qu’il a déclaré à notre équipe d’enquête :
J’ai reçu un appel de Kerry Lee Thompson me demandant : « Pourquoi n’en faites-vous pas plus? » Sans lui raconter ce que je ne pouvais pas lui raconter, j’ai dit simplement, ou plutôt je lui ai demandé si elle avait la moindre idée de la somme d’argent que le ministère du Procureur général avait dépensée « parce que c’est elle qui faisait les chèques », parce que c’était leur argent, leur obligation judiciaire. Bien sûr, nous avions… je suppose… une obligation combinée, ou complémentaire, de faire quelque chose, ce n’était pas complètement clair, mais certainement, je lui ai demandé si elle avait la moindre idée de l’argent qu’ils avaient dépensé jusqu’à ce point du procès. Elle a répondu non, et je lui ai demandé si elle avait additionné les chiffres elle-même et elle a dit non. Alors je lui ai dit : « Voici le montant… » et je lui ai demandé si elle avait dit à son supérieur à combien se chiffraient les totaux, et elle a dit non. Je lui ai demandé qui était son supérieur et elle m’a dit qu’elle avait communiqué une partie de ces renseignements sur les montants à sa collègue…
214 Le 5 juin 2007, ayant appris la terrible vérité, M. Campbell, directeur du Bureau des avocats de la Couronne – droit criminel, a envoyé une lettre cinglante au directeur de la Gestion des causes majeures à Aide juridique Ontario. Il a protesté contre la déclaration faite par le directeur de la GCM disant qu’Aide juridique Ontario se conformait à l’ordonnance du juge Shaughnessy « dans toute la mesure du possible ». C’était, après tout, une ordonnance judiciaire. Il a rappelé au directeur de la GCM que cette ordonnance n’avait été rendue qu’après une pleine consultation entre le Ministère et la directrice des Services aux avocats et paiements, à Aide juridique Ontario. Et il a ajouté que les méthodes adoptées par le directeur de la GCM étaient :
… un manquement direct à l’ordonnance du juge Shaughnessy et en conflit direct avec le rôle que vous avez accepté de jouer, à la connaissance du ministère du Procureur général, dans cette affaire au cours de l’année passée. C’est une question de la plus grande urgence, une source de grande inquiétude, et malheureusement elle exige qu’une requête soit faite immédiatement à M. le juge Shaughnessy.
215 Le ministère du Procureur général est alors rapidement passé à l’action pour tenter de mettre fin à l’épanchement de fonds dans l’affaire Wills. Le 5 juin 2007, Mme Fairburn a écrit à M. Napal, lui disant que le Ministère n’avait appris que récemment que la manière dont les comptes étaient traités ne concordait pas avec l’ordonnance du juge Shaughnessy et elle a exprimé « la très vive inquiétude du Procureur général ». Le lendemain, Mme Fairburn a écrit à la Cour supérieure de justice, demandant de toute urgence de faire une requête en cour à propos de l’ordonnance du juge Shaughnessy.
216 La situation avait alors atteint un point critique au tribunal de la juge Fuerst. La juge Fuerst était de plus en plus troublée par ces wagons de fonds publics qui dévalaient sur la voie ferrée, sans aucun frein à la locomotive. Elle a incité l’avocat de M. Wills à faire preuve de retenue. Déjà, elle avait commenté la valse éclair des avocats, ainsi que la longue liste des requêtes sans fondement. Et puis, le 5 juin 2007, il y a eu le fiasco des empreintes digitales.
217 Dès le début du procès, M. Wills avait admis que c’est lui qui avait placé le corps de Mme Mariani dans le contenant à ordures. Pourtant, M. Napal a informé la juge que la défense comptait contester la manière dont la Couronne avait obtenu la preuve des empreintes sur ce contenant – objection complètement insensée. La juge Fuerst a alors rappelé à M. Napal que, en recourant aux fonds publics, il avait « une obligation… de mener la procédure de manière raisonnable ». Elle s’est interrogée à voix haute sur ce qui se passait : « Des positions ont été prises, des requêtes ont été présentées… des questions ont été mises en considération… qui ne seraient jamais survenues si un individu, une personne aux moyens modestes, finançait sa propre défense. » Elle a ensuite émis cette mise en garde :
Très franchement, je ne voudrais pas être dans votre position, si j’étais avocat, je ne voudrais pas voir quelqu’un me suggérer un jour que les fonds perçus l’ont été de façon inappropriée. C’est ce que j’ai à dire.
218 Le lendemain s’est avéré pire encore. La juge Fuerst a appris qu’un étudiant en droit qui faisait partie de l’équipe de la défense, M. Phillip Viater, avait engagé un ami d’enfance – un photographe de mode – pour manipuler des photos effroyables du contenant où se trouvaient les restes de Mme Mariani et d’autres éléments, pour les réduire et en faire un « diaporama ». Le photographe avait déposé les prises au magasin local Japan Camera à Hillcrest Mall, à Richmond Hill, pour les faire développer et dupliquer. Traiter de manière aussi cavalière les photos de la dépouille de Mme Mariani était non seulement un exercice sans raison, et une offense à la dignité de la victime, mais aussi très clairement un manquement à l’obligation de confidentialité de l’avocat quant aux renseignements dans une cause criminelle. Quand Harold Dale, le poursuivant, a suggéré que la question « devenait peu à peu une affaire de police », la juge Fuerst a fait ce commentaire : « Ceci devient aussi potentiellement une question qui relève du Barreau. Voilà à quel point je suis inquiète de tout ceci. » La juge Fuerst a ordonné que des détectives se rendent au magasin de photo et saisissent le matériel. Elle a aussi convoqué le photographe le 7 juin 2007 pour l’interroger. Le photographe a indiqué que le coût de ses services s’était chiffré à 13 000 $, avec environ 2 400 $ pour le développement de quelque 500 photos.
219 À peu près à cette époque, il est aussi ressorti que M. Viater était payé au tarif de 50 $ de l’heure comme « stagiaire en droit », soit au tarif mentionné dans l’ordonnance du juge Shaughnessy – ce terme faisant généralement référence à un stagiaire[27]. M. Viater était étudiant en droit, mais pas stagiaire[28].
220 Le 7 juin 2007, la juge Fuerst a répété ses inquiétudes quant à l’abus de fonds publics :
Je dois aussi faire des commentaires à propos de l’ordonnance de financement rendue par le juge Shaughnessy le 28 avril 2005. M. Napal et Mme Suzie Scott sont la troisième équipe d’avocats à être financés dans le cadre de cette ordonnance excessivement généreuse. Je soupçonne que les honoraires et les débours juridiques facturés jusqu’à présent excèdent de loin les 100 000 $. On m’a dit que le juge Shaughnessy allait entendre une requête à propos de l’ordonnance de financement la semaine prochaine…
Je suis d’avis que le temps est venu pour le Procureur général d’examiner très soigneusement les dépenses de fonds publics dans cette affaire. Il me semble… que le risque est très réel que l’ordonnance de financement du juge Shaughnessy donne lieu à des abus.
221 La juge Fuerst avait parfaitement vu les choses, mais elle ne pouvait pas imaginer l’ampleur des abus; son estimation était de huit fois trop petite. Le 7 juin 2007, le Procureur général avait payé à la défense de M. Wills un total faramineux de plus de 800 000 $.
222 La requête présentée par le Procureur général au juge Shaughnessy relativement à des instructions quant à la gestion des comptes dans l’affaire Wills a été entendue le 14 juin 2007. Le Procureur général et Aide juridique Ontario avaient alors négocié une ébauche d’ordonnance, à faire signer par le juge, mais l’accord n’avait pas été chose facile. Raisonnablement, Aide juridique Ontario voulait que l’ordonnance inclue un mécanisme de règlement des conflits. De son côté, le Ministère voulait que l’ordonnance stipule une supervision par le Comité des exceptions de la Gestion des causes majeures, mais Aide juridique Ontario avait fait objection car elle dépend de bénévoles à ces fins. Pour résoudre ces problèmes, le Ministère a accepté de nommer un comité composé de trois avocats, qui serait chargé de faire des recommandations à propos du budget et qui aurait le pouvoir de régler les conflits entre Aide juridique Ontario et M. Wills ou son avocat. Le Ministère a retenu les services de trois éminents avocats en droit criminel, au tarif de 200 $ de l’heure chacun[29].
223 Il est clair d’après les courriels internes d’Aide juridique Ontario qu’au moins la directrice des Services aux avocats et paiements n’était pas très heureuse de voir une ordonnance judiciaire prescrire le mandat de cet organisme. Dans un courriel interne daté du 13 juin 2007, elle a exprimé le malaise qu’elle avait face au « niveau substantiel de responsabilité rejetée » sur Aide juridique Ontario. Elle ne voulait pas qu’Aide juridique Ontario soit « liée par quoi que ce soit ». La directrice s’est confiée à l’avocat d’Aide juridique, lui disant :« Voir tout mis par écrit me fait vraiment souhaiter que nous n’ayons pas à intervenir du tout. »
224 Quand la question est arrivée chez le juge Shaughnessy, il a dit clairement qu’il voyait les choses différemment. Pour lui, son ordonnance du 6 juin 2006 était « assez claire » et, en endossant l’accord conjoint entre le Ministère et Aide juridique Ontario, il avait simplement « martelé plus en détail une ordonnance qui avait été rendue une année auparavant et qui aurait dû être exécutée ». Il a clairement exprimé son déplaisir face à Aide juridique Ontario :
Je suis renversé et déconcerté par la conduite d’Aide juridique Ontario qui n’a pas rempli le rôle prescrit par mon ordonnance, rôle qu’elle a assumé et confirmé par correspondance…
Ce qui s’est passé dans cette affaire est, comme je l’ai indiqué, stupéfiant en termes de dépenses, du manque de gestion de la cause, nonobstant l’engagement à le faire, et je suis vraiment découragé qu’il ait pu y avoir abandon d’une fonction aussi importante, et surtout abandon de la fonction de responsabilisation à l’égard des fonds publics, comme cela s’est passé dans cette affaire. …
Je considère qu’il est honteux que, dans ces circonstances, mon ordonnance et mes instructions du 6 juin 2006 n’aient pas été respectées. Pour des raisons que je ne parviens pas à comprendre, Aide juridique Ontario s’est dérobée à la responsabilité qu’elle avait acceptée et confirmée par correspondance le 14 juin et le 25 août 2006[30]. Aucune explication n’a été avancée qui puisse indiquer pourquoi Aide juridique Ontario a abandonné sa position, mais les conséquences de ses actions font injure à la bourse publique et à la confiance du public, en ce qui concerne l’administration de la justice.
225 Le 14 juin 2007, le juge Shaughnessy a rendu une nouvelle ordonnance, comprenant les détails suivants :
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Dans les 10 jours qui suivront la date de cette ordonnance, l’avocat de Richard Wills remettra à Aide juridique Ontario, au directeur de la Gestion des causes majeures, un « Formulaire d’opinion » dûment rempli pour les audiences de Gestion des causes majeures.
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Sur réception de ce « Formulaire d’opinion », et dans les 14 jours qui suivent cette ordonnance, Aide juridique Ontario convoquera une réunion entre l’avocat de M. Wills et le directeur de la Gestion des causes majeures, le directeur régional et/ou un autre responsable d’Aide juridique Ontario. L’avocat fournira à Aide juridique Ontario tout renseignement requis en sus du « Formulaire d’opinion », dans le but d’établir un budget raisonnable pour cette cause. Le budget sera négocié par Aide juridique Ontario, compte tenu des considérations de la Gestion des causes majeures.
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Pour parvenir à un budget raisonnable, Aide juridique Ontario prendra en considération le tarif de rémunération indiqué dans mon ordonnance Fisher datée du 28 avril 2005.
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Pour parvenir à un budget raisonnable, entre autres considérations pertinentes, Aide juridique Ontario tiendra aussi compte du nombre d’heures de préparation requises, sur une base journalière, ainsi que de la durée prévue du procès.
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Pour déterminer combien d’heures doivent être prévues au budget pour un stagiaire en droit, dans cette affaire, Aide juridique Ontario gardera à l’esprit mon ordonnance « Fisher » datée du 28 avril 2005, qui permet uniquement de payer un stagiaire en droit pour « les recherches et la tenue des entrevues ». Seul un stagiaire en droit est autorisé pour un financement conformément à mon ordonnance « Fisher ».
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L’avocat sera tenu de respecter un budget raisonnable accepté par Aide juridique Ontario et présentera à Aide juridique Ontario des comptes conformes aux exigences de facturation d’Aide juridique Ontario.
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Avant de faire toute dépense inhabituelle, l’avocat devra en demander l’autorisation par écrit à Aide juridique Ontario.
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Avant de compléter le budget pour cette affaire, Aide juridique Ontario sollicitera les commentaires d’un comité de trois avocats en droit criminel… organisé par le Procureur général, qui fera ses recommandations quant au bienfondé et au caractère raisonnable du budget. Entre autres considérations pertinentes, ces recommandations tiendront compte de la nature de la cause et de l’état d’avancement de la procédure.
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Si un conflit survient à propos du budget et des débours, Aide juridique Ontario s’adressera au comité des trois avocats en droit criminel… pour résoudre le conflit. L’avocat de M. Wills devra s’en tenir à la décision du comité. Advenant qu’il y ait conflit entre les membres du comité, la majorité l’emportera. Par la suite, Aide juridique Ontario fera ses recommandations de paiement en fonction de la décision du comité.
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Comme si cette cause était financée par Aide juridique Ontario, le comité… aura la responsabilité de déterminer si le financement et le type de financement de cette cause sont appropriés, compte tenu de considérations comme le renvoi répété des avocats. Si le comité en arrive à la conclusion que la continuation du financement n’est pas appropriée, le Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne – droit criminel, en sera avisé et une requête me sera présentée en vue d’instructions.
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L’avocat de M. Wills soumettra des comptes mensuels à Aide juridique Ontario. Ces comptes seront examinés et validés pour vérifier qu’ils respectent le budget et seront approuvés pour débours. Aide juridique Ontario avisera l’avocat du Procureur général du montant du paiement recommandé. Si Aide juridique Ontario n’approuve pas une partie de compte, elle indiquera simplement le montant non approuvé en vue d’un paiement.
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Cette ordonnance s’applique à l’avocat actuel de Richard Wills et à tous les avocats dont Richard Wills retiendra les services à l’avenir.
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Si pour une raison quelconque, Aide juridique Ontario ne peut pas respecter quelque aspect que ce soit de cette ordonnance, Aide juridique Ontario en avisera immédiatement le Procureur général, Bureau des avocats de la Couronne – droit criminel, qui sollicitera mes instructions.
226 Grâce à cette ordonnance modifiée du juge Shaughnessy, Aide juridique Ontario a entrepris d’examiner avec diligence les comptes de M. Napal, maintenant sous la supervision de la directrice des Services aux avocats et paiements. Il était trop tard pour scruter tout le travail de l’avocat. Quand le Ministère a appris qu’Aide juridique Ontario n’avait pas validé correctement les comptes, cet organisme avait tenté de retarder le paiement d’une facture de M. Napal pour un montant de 35 286,84 $ datée du 24 mai 2007, mais la juge Fuerst, qui désirait vivement voir le procès continuer, a fortement recommandé un paiement immédiat, ce qui a été fait. Mais tout compte présenté par la suite a fait l’objet d’un examen.
227 Par exemple, Aide juridique Ontario a écrit à M. Napal à propos de son compte du 8 juin 2007, même si ce compte précédait la dernière ordonnance du juge. La recommandation faite était que la facture soit réduite de 47 061,29 $ à 39 144,01 $. Ceci reflétait un compromis quant au nombre d’heures facturées et quant aux débours réclamés, et notamment le rejet des 2 510,83 $ pour l’impression des photos qui avaient alarmé la juge Fuerst.
228 Avant même qu’un budget officiel ne soit déterminé d’un commun accord, Aide juridique Ontario a imposé ses restrictions. Immédiatement, le temps de préparation de M. Napal a été limité à six heures par jour pour chaque jour pleinement passé au tribunal, à partager avec son avocat adjoint – l’un et l’autre ne pouvant pas facturer plus de 10 heures par jour. Un protocole a été mis en place pour vérifier les recherches juridiques dont le paiement était demandé, et M. Napal a dû clairement différencier le temps passé au tribunal et le temps passé à la préparation. Il a été avisé que tout débours inhabituel devrait faire l’objet d’une demande d’ajout au budget.
229 Le 20 juillet 2007, un budget officiel était établi. Ce budget donnait plus de repères à Aide juridique Ontario pour évaluer le bien-fondé des comptes et indiquait à M. Napal ce qu’il pouvait facturer. Certains des comptes qui ont été soumis par la suite ont été réduits, parfois de peu, comme celui du 16 juillet 2007 (qui est passé de 56 756,65 $ à 56 612,90 $) à d’autres qui ont été coupés plus carrément, comme celui du 3 août 2007 qui reflétait un dépassement de budget de 5 043,81 $ et dont le paiement final a été de 6 903,71 $ au lieu de 11 947,52 $.
230 Une partie des comptes des avocats précédents de M. Wills était toujours non réglés. Ces comptes ont été examinés en fonction des critères d’Aide juridique Ontario. Les comptes présentés par Mme Suzie Scott, datés du 10 juin 2007 et du 14 juin 2007 ont été modifiés légèrement, par exemple parce qu’elle avait facturé une journée d’un peu plus de 10 heures.
231 Entre-temps, M. Hamalengwa avait envoyé un compte pour le travail effectué en avril et mai 2007, pour un montant supplémentaire de 92 038,56 $, en plus des 677 604,18 $ qu’il avait déjà perçus pour ses honoraires et débours. Fidèle à la méthode qu’il avait adoptée avec le directeur de la Gestion des causes majeures, il n’a fourni aucun détail.
232 La directrice des Services aux avocats et paiements lui a écrit le 20 août 2007, l’avisant qu’il lui fallait un compte rectifié indiquant le commencement et la fin des heures de travail de chaque jour, pour tous les services d’une demi-heure ou plus, les factures pour toute dépense supérieure à 100 $, une demande d’autorisation et/ou une explication pour un certain nombre de débours, et une lettre d’opinion expliquant brièvement les services rendus pendant la durée couverte par le compte.
233 Ignorant apparemment les récents développements, M. Hamalengwa a répondu en protestant que la défense de M. Wills se faisait dans le cadre d’une ordonnance Fisher et ne relevait donc ni de la Gestion des causes majeures, ni des tarifs d’Aide juridique Ontario. Cependant, il a présenté un compte modifié et détaillé, accompagné de renseignements généraux sur une partie du travail qu’il avait effectué.
234 Mais même cette information ne suffisait pas à satisfaire aux nouvelles exigences. La facture comprenait 271,1 heures de temps de préparation, dont 150 heures étaient simplement classées comme « recherche » et 46 heures comme « recherche/préparation ». Le 13 septembre, la directrice des Services aux avocats et paiements a avisé le Ministère que, même si le nombre d’heures par jour n’était pas inhabituel pour cette cause, les descriptions du travail de M. Hamalengwa étaient « peu fournies ». De plus, environ 50 de ces heures étaient facturées entre minuit et six heures du matin – si cette cause avait relevé de l’aide juridique, une explication aurait été demandée. Les débours réclamés posaient de toute évidence un problème – leur montant total était de 32 795,89 $, alors que seulement 2 964,64 $ auraient été facturés dans le cas d’une cause financée par l’aide juridique.
235 M. Hamalengwa a écrit à la directrice des Services aux avocats et paiements le 22 septembre 2007, pour lui donner des renseignements complémentaires, mais la question n’est toujours pas réglée et demeure en examen.
236 Le procès de Richard Wills a pris fin le 31 octobre 2007, quand le jury a déclaré M. Wills coupable du meurtre au premier degré de Linda Mariani, après 65 jours d’audience préliminaire, 144 jours de procédure préalable au procès et 84 jours de procès.
237 Treize avocats s’étaient succédé dans la cause de M. Wills, dont deux « amis de la cour ». Parmi les onze qui ont directement assuré sa défense, trois avaient été retenus par lui en privé : tout d’abord les deux Danson, puis Todd White de Greenspan White. Dirk Derstine l’avait représenté pro bono, étant le premier à tenter d’obtenir une ordonnance Rowbotham. Mais les sept autres avaient été financés par les deniers publics : Cindy Wasser, assistée par Breese Davies; M. Hamalengwa, assisté par M. Stern et ensuite par M. Willoughby; puis M. Napal brièvement assisté par Mme Scott.
238 Protéger les intérêts de M. Wills s’est avéré fort coûteux. Au départ, M. Wills a dépensé 70 000 $ de son argent. Ensuite, plus de 200 000 $ ont été payés à deux amicus curiae. Le 27 novembre 2007, le ministère du Procureur général avait payé un total global de 1 105 063,42 $ aux avocats qui avaient travaillé à la défense de M. Wills, et ceci sans compter le compte non réglé de M. Hamalengwa pour un montant de 92 038,56 $.
239 Les divers avocats de M. Wills ont été rémunérés comme suit :
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Cynthia Wasser, pour un total de 305,7 heures plus 85,7 heures pour une avocate adjoint (Breese Davies) et des débours de 77 375,00 $.
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Munyonzwe Hamalengwa, pour un total évalué à 2 704 heures sur 17 mois, plus des débours de 677 604,18 $.
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Richard Stern, adjoint de M. Hamalengwa : 5 130,40 $
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Samuel Willoughby, adjoint de M. Hamalengwa : 11 564,06 $
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Raj Napal, pour honoraires et débours : 317 892,18 $
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Suzie Scott, adjointe de M. Napal : 15 497,60 $
240 Alors que le procès de M. Wills se poursuivait, les discussions entre le Ministère et Aide juridique Ontario pour établir un protocole quant aux ordonnances Rowbotham et Fisher ont pris une importance renouvelée. Aide juridique Ontario, en particulier, voulait que les attentes du Ministère soient énoncées dans le nouveau protocole d’entente et espérait qu’il couvrirait non seulement les ordonnances Rowbotham et Fisher, mais toutes les causes où cet organisme devait contribuer à examiner les comptes juridiques payables par le Ministère.
241 Dans les mois qui ont suivi, plusieurs ébauches de protocole ont été préparées. Aide juridique Ontario voulait employer ses critères habituels et restreindre son rôle à la fourniture de conseils sur la manière dont les comptes devraient être gérés si la cause relevait d’Aide juridique Ontario. Dès le départ, l’organisme a déclaré : « AJO ne cherchera ni limiter la longueur d’une procédure, ni à contrôler la conduite de la défense. »
242 Il se peut que le Ministère n’ait pas eu un grand sentiment d’urgence quand il a entamé ces discussions. Très certainement, c’est ce qu’en a pensé Aide juridique Ontario. Un courriel interne d’Aide juridique Ontario daté du 4 septembre 2007 relate que les choses avançaient lentement, mais dit : « Nous avons finalement attiré leur attention. »
243 Ce qui a définitivement attiré l’attention du Ministère, en tout cas, c’est l’explosion de publicité qui a eu lieu deux mois plus tard. Après la condamnation de M. Wills, les médias ont obtenu accès aux ordonnances de financement qui avaient été mises sous scellé durant le procès. Bien évidemment, M. Wills a tenté d’arrêter leur divulgation, mais il avait initialement renoncé au droit à la protection des renseignements. Son « jeu » a été déjoué et rejeté par la juge Fuerst. Une avalanche de demandes d’information publique a commencé. Les partis d’opposition ont demandé un examen. J’étais prêt à annoncer mon enquête quand, le 5 novembre 2007, le nouveau procureur général Christopher Bentley a fait paraître un communiqué de presse annonçant que le processus d’établissement du protocole, qui avait été entamé tout de suite après l’ordonnance rendue par le juge Shaughnessy le 14 juin 2007, allait être accéléré.
244 Le procès-verbal de la première réunion du groupe de travail Aide juridique Ontario/Ministère sur ce sujet ne faisait aucunement référence à l’affaire Wills – mais chose révélatrice, la réunion suivante faisait mention de l’annonce du « protocole du PG/de la cause Wills ». Le vent avait tourné. Alors qu’Aide juridique Ontario tentait de bricoler sa première ébauche, le Ministère prenait la situation en main. L’ébauche de protocole qui a suivi ne portait plus sur un processus définissant les rôles et les limites de compétences d’Aide juridique Ontario quant à la gestion des fonds publics payés à la suite d’une ordonnance judiciaire. C’était désormais un énoncé plus vaste de politique qui comprenait un guide sur l’importance du financement public pour les causes de prévenus sans avocats. Chose plus importante encore, cette ébauche énonçait un principe directeur qui n’avait jamais été affirmé auparavant :
La Loi sur les services d’aide juridique fournit un code législatif exhaustif sur l’évaluation et le paiement des fonds publics pour les affaires criminelles et civiles.
De l’avis du Ministère, Aide juridique Ontario avait un rôle à jouer non pas par mesure de courtoisie, mais parce que cet organisme devait s’acquitter d’une responsabilité, qu’il devait accepter.
245 La réponse préparée par Aide juridique Ontario a été à la fois inattendue, opportuniste et honteuse. Alors que cet organisme gérait depuis longtemps les comptes du Ministère, et bien qu’il ait voulu le protocole en premier lieu, il a indiqué en surlignant en caractères gras :
AJO croit maintenant que, vu que la Loi ne donne pas à AJO le pouvoir de conseiller ou de gérer les causes non admissibles à un certificat, conseiller ou gérer financièrement ces causes n’est en fait pas « légal », et ne relève pas du mandat d’AJO.
246 Cette réponse se concluait ainsi :
AJO est une création de sa loi et il faudrait un changement de loi pour qu’AJO tombe sous le mandat de la Loi afin de conseiller ou gérer financièrement les causes pour lesquelles le tribunal a ordonné que la défense soit payée par les fonds publics, par le MPG.
247 Durant tout novembre et décembre 2007, Aide juridique Ontario a discuté l’élaboration du protocole et a fini par renoncer à son objection technique insoutenable. Le 12 décembre 2007, le Ministère a fait paraître un communiqué de presse annonçant qu’un protocole avait été élaboré. Ce communiqué disait ceci :
Le ministère du Procureur général (le « ministère ») et Aide juridique Ontario ont le devoir commun de protéger l’intérêt public en améliorant l’administration de la justice et en assurant que les fonds publics sont dépensés sagement et prudemment. Les principes suivants aideront le ministère et Aide juridique Ontario à remplir leurs fonctions communes. Les deux organismes sont, comme toujours, tenus de se conformer à une ordonnance judiciaire.
Principes
1. Le ministère a la responsabilité du service de poursuite de la Couronne. Il est également responsable devant le public des dépenses du ministère et d’Aide juridique Ontario. Le service de poursuite de la Couronne devrait agir en qualité de poursuivant et ne pas intervenir dans l’évaluation de la situation financière de l’accusé qu’effectue Aide juridique Ontario ni dans le paiement des notes d’honoraires par le Ministère. Les procureurs devraient tenir Aide juridique Ontario informée du statut et du déroulement des instances. Le Ministère doit, toutefois, pouvoir exécuter ses responsabilités relatives aux dépenses des fonds publics, y compris assurer la supervision financière nécessaire.
2. La Loi de 1998 sur les services d’aide juridique impose à Aide juridique Ontario l’obligation de fournir des services d’aide juridique à des citoyens à faible revenu, après avoir évalué leur admissibilité financière, et de payer ces services avec des fonds publics, pour les affaires au criminel et au civil.
3. Dans les rares circonstances où le tribunal ordonne que des fonds publics soient versés (dont les cas d’ordonnances de type Rowbotham ou Fisher), il faudrait suivre une démarche uniforme pour s’assurer que l’accusé dont la liberté est en jeu reçoit un soutien conforme au mandat d’Aide juridique Ontario d’offrir des services à ex aequo « des personnes raisonnables ayant des moyens modestes ».
4. Les avocats de la défense rémunérés par l’État devraient être payés au même taux et être assujettis à la même supervision que les avocats rémunérés par Aide juridique Ontario, sans égard à la source du financement, pour assurer que les fonds publics sont dépensés avec sagesse et prudence.
5. Le ministère et Aide juridique Ontario comparaîtront ensemble devant le tribunal pour présenter des requêtes de financement public. Le Ministère et Aide juridique Ontario reconnaissent qu’il pourrait y avoir des situations où d’un commun accord ils décideraient de ne pas comparaître conjointement.
6. Si le tribunal décide qu’une ordonnance devrait être préparée, le Ministère et Aide juridique Ontario présenteront, chaque fois que c’est possible, une ébauche d’ordonnance conjointe qui déclarera ce qui suit :
-
Le Ministère finance la défense;
-
Aide juridique Ontario gère le cas conformément aux règles et processus en matière de facturation et de paiement des services d’aide juridique;
-
Le paiement dépendra généralement de l’évaluation, par Aide juridique Ontario, de la facture selon ses règles. Toutefois, le Ministère peut exiger qu’un tiers indépendant spécialisé dans les instances criminelles examine, surveille et évalue les notes d’honoraires pendant la durée de la procédure ou à la conclusion de celle-ci;
-
Si une facture n’a pas été payée intégralement, l’avocat peut recourir au processus de révision mis en place par Aide juridique Ontario.
7. Le Ministère et Aide juridique Ontario comparaîtront conjointement, chaque fois que c’est possible, pour obtenir les instructions du tribunal au sujet de toute dérogation nécessaire aux ordonnances de financement public rendues par le tribunal ou en cas de problème de conformité.
8. Le Ministère et Aide juridique Ontario s’engagent à coopérer, dans les limites de leurs compétences respectives, en vue de recouvrer les frais encourus au nom d’un accusé.
9. Le Ministère et Aide juridique Ontario s’engagent à régulièrement surveiller, réviser et améliorer le présent protocole ainsi que les politiques et procédures connexes.
10. Le Ministère et Aide juridique Ontario consulteront les avocats dans le cadre de leurs efforts continus en vue de renforcer l’obligation redditionnelle et la supervision à l’égard des fonds publics.
248 Le document final semble représenter un compromis substantiel de la part d’Aide juridique Ontario. Cet organisme a accepté que la gestion des ordonnances Rowbotham et Fisher relevaient de son mandat et a renoncé à son opinion selon laquelle son rôle était simplement consultatif pour ce type d’ordonnances. Aide juridique Ontario a reconnu une responsabilité conjointe de gestion de ces ordonnances et a concédé que, comme le Ministère, elle est assujettie à une ordonnance du tribunal. Si Aide juridique Ontario avait accepté ces principes durant l’affaire Wills, les contribuables ontariens auraient fait des économies considérables.
249 Alors, à qui revient la responsabilité de ce gaspillage colossal[31]? Il ne fait aucun doute qu’une grande partie de cette responsabilité incombe à M. Wills. Il a rejeté ou écarté de par sa personnalité bon nombre d’avocats, causant ainsi la perte de centaines d’heures de préparation en vue de son procès. La procédure a été prolongée par ses loufoqueries incorrigibles, notamment son insistance à orchestrer lui-même sa défense – choix malheureux et stupide qui a mené à des interrogatoires sans rime ni raison et a englouti des jours et des jours dans des requêtes sans fondement.
250 Ce qui m’inquiète toutefois, ce n’est pas cet homme, mais les institutions gouvernementales qui ont participé à cette affaire – le ministère du Procureur général et Aide juridique Ontario. Entre les deux, la faute retombe carrément sur cette dernière. Comme l’a dit le juge Shaughnessy, Aide juridique Ontario a « esquivé sa responsabilité ».
251 Certains pourront ne pas être d’accord avec moi pour conclure que la faute revient très peu, voire pas du tout, au ministère du Procureur général qui a déboursé la somme de 604 281,44 $ dans cette cause avant de découvrir le problème. J’ai considéré la question, mais je comprends pourquoi le Ministère n’a rien fait.
252 Les responsables du Ministère en étaient venus à faire confiance à la performance antérieure d’Aide juridique Ontario. Cet organisme avait souvent veillé de manière responsable et efficace à la validation des comptes juridiques payables par le Ministère et avait donné, dans ses propres pratiques, la preuve de son engagement à être redevable des fonds publics consacrés à l’administration de la justice.
253 Le Ministère avait toute raison de croire qu’Aide juridique Ontario prendrait au sérieux sa responsabilité dans l’affaire Wills, étant donné le contexte dans lequel cet organisme avait été appelé à intervenir. Le juge Shaughnessy a fait savoir qu’il considérait qu’Aide juridique Ontario était responsable de la nécessité d’une ordonnance Rowbotham en premier lieu. Selon lui, le tribunal avait été appelé à agir en raison des renseignements inexacts qu’avait Aide juridique Ontario sur la fortune de M. Wills, de ses fâcheuses priorités qui avaient fait passer la responsabilité de M. Wills à financer son procès avant ses obligations de pension alimentaire, ainsi que de sa décision d’imposer à M. Wills des modalités de remboursement qu’il ne pouvait pas respecter.
254 L’ordonnance du 6 juin 2006 donnait à Aide juridique Ontario la responsabilité de mener un examen en tant que tiers indépendant. Certes, c’étaient M. Wills et son avocat qui avaient pour ordre de présenter les comptes à payer à Aide juridique Ontario, et ce n’était pas Aide juridique Ontario qui avait pour ordre d’agir, mais l’ordonnance du juge reposait sur le fait qu’Aide juridique Ontario procèderait à « l’examen des comptes et à l’établissement de budgets pour la défense conformément aux exigences de responsabilisation en matière de fonds publics ». L’ordonnance avait pour prédicat qu’Aide juridique Ontario appliquerait son processus de Gestion des causes majeures comme « un outil logique pour régler le paiement des comptes ». Et le juge avait expliqué que la validation des comptes devait consister à « examiner, additionner, vérifier que les calculs sont corrects » (c’est nous qui soulignons). Le Ministère pouvait donc tout à fait raisonnablement présumer qu’Aide juridique Ontario accepterait cette responsabilité, au lieu de s’abriter derrière cette subtilité de forme juridique selon laquelle cet organisme ne participait pas à la procédure, ou affirmant que les ordonnances Rowbotham sont rendues contre la Couronne et non pas contre Aide juridique Ontario.
255 Considérant tous ces points, pourquoi le Ministère aurait-il cherché à deviner ce que faisait Aide juridique Ontario? Chose plus importante encore, pourquoi aurait-il dû chercher à deviner ce que faisait Aide juridique Ontario, quand cet organisme avait déclaré sans ambiguïté que le travail était fait? « Nous avons été avisés de l’ordonnance du juge Shaughnessy du 6 juin 2006 et nous sommes heureux de nous y conformer dans toute la mesure du possible », avait déclaré le directeur de la Gestion des causes majeures dans une lettre à M. Hamalengwa, avec copie à tous les intéressés. Malgré cette expression qui prête à controverse, « dans toute la mesure du possible », Aide juridique Ontario avait prouvé sa capacité à faire ce type de travail auparavant. Il était donc raisonnable de présumer que ce « possible » traduisait un respect complet et efficace, d’après les antécédents d’Aide juridique Ontario.
256 Cette lettre enjoignait à M. Hamalengwa d’assister à une réunion « pour établir un budget » et décrivait le rôle d’Aide juridique Ontario comme un rôle de « gestion du processus budgétaire prescrit par l’ordonnance, conformément à nos pratiques et procédures » (c’est nous qui soulignons). Cette lettre faisait même allusion à la possibilité que le Comité des exceptions doive valider le budget s’il surpassait un total de 75 000 $.
257 Ce n’est pas la seule indication qu’Aide juridique Ontario ait donné qu’elle s’acquitterait de son rôle. Même quand le directeur de la Gestion des causes majeures a cédé à l’objection de M. Hamalengwa et a décidé qu’il ne ferait que « les calculs », et chercherait uniquement à détecter les signes manifestes de fraude, sa conduite a continué de tromper le Ministère. Dans sa lettre du 21 août 2006, qui approuvait les comptes de M. Hamalengwa, il a déclaré :
Nous avons examiné les détails des comptes et déterminé que les comptes étaient valides, à la fois pour les honoraires et pour les débours, et c’est pourquoi nous vous recommandons de les payer comme convenu (c’est nous qui soulignons).
258 Chaque lettre d’approbation qui a suivi a réitéré l’assurance que les comptes étaient jugés valides, mais omettait obliquement toute référence à un examen détaillé des comptes. Toutefois, c’est la première lettre du directeur de la Gestion des causes majeures qui est la plus troublante de toutes ses communications car dans cette lettre il a déclaré ce qui suit, alors qu’il avait fondamentalement accepté de ne rien faire sinon d’approuver automatiquement tout le travail juridique facturé, aussi extravagant soit-il :
Veuillez noter que nous avons rencontré M. Hamalengwa pour discuter les lignes directrices de gestion et les exigences de budget pour le reste de l’affaire.
259 C’était là une demi-vérité. C’est vrai, lui et M. Hamalengwa s’étaient rencontrés pour parler des directives de gestion de la cause et des exigences en matière de budget, mais lors de cette rencontre M. Hamalengwa avait réussi à persuader le directeur de la Gestion des causes majeures qu’il ne devrait pas y avoir de directives de gestion, ni de budget. Pourtant, cette lettre semblait indiquer que des directives de gestion et des exigences de budget étaient mises en place.
260 En raison de ces déclarations inexactes, Mme Thompson n’avait aucune raison de présumer circonstanciellement que le Ministère n’obtenait pas toute la vérité, alors qu’elle signait successivement des chèques d’un montant colossal. Elle ne pouvait pas présumer que ces comptes ne faisaient pas l’objet d’une supervision, puisqu’elle avait été menée à croire qu’un budget était en place et que s’il y avait dépassement du plafond de 75 000 $ l’approbation du Comité des exceptions serait demandée.
261 Outre le fait qu’Aide juridique Ontario était experte dans la validation des comptes juridiques, la raison primordiale d’un « examen indépendant » de ces comptes était de sauvegarder le secret professionnel des avocats. Il aurait donc été inapproprié pour Mme Thompson de demander des détails sur l’escalade des coûts. Comme l’a expliqué M. Campbell à notre équipe d’enquête, si le Ministère avait commencé à remettre en question les factures sans provocation, l’avocat de M. Wills aurait fait sérieusement objection et le procès aurait pu déraper. Cette provocation n’est venue que quand le directeur de la Gestion des causes majeures a lui-même admis qu’il voyait son rôle comme un simple manieur d’abaque, et non comme le gardien des fonds publics contre les abus et les pertes.
262 Alors que la conduite du Ministère peut se comprendre dans le contexte d’une tradition de confiance, le fait qu’Aide juridique Ontario ait esquivé sa responsabilité peut uniquement s’expliquer, à mon avis, dans le contexte d’une culture qui avait infiltré tout cet organisme et qui consistait à penser : « Ce n’est pas à nous de faire ce travail. » Les courriels internes montrent que la directrice des Services aux avocats et paiements, à Aide juridique Ontario, en avait mal au ventre de voir la responsabilité des comptes de M. Wills « déchargée » sur AJO et se lamentait, avec le directeur de la Gestion des causes majeures, du manque de rétribution pour ce travail. Elle nous a déclaré qu’elle souhaitait que cette activité gruge-temps qu’était la gestion des comptes externes incombe à un organisme distinct.
263 Les hauts responsables d’Aide juridique Ontario semblaient faire une fixation sur l’indépendance de cet organisme, sur une rétribution à obtenir pour le travail fait, et sur le point de loi voulant que les ordonnances Rowbotham sont rendues contre le Procureur général et non pas contre Aide juridique Ontario, au lieu de se soucier de leur mission publique d’obligation redditionnelle des fonds publics. Aussi longtemps que les fonds sortaient du budget d’un autre organisme, ils ne s’en inquiétaient pas. Ils considéraient qu’ils faisaient une faveur – qu’ils agissaient par « mesure de courtoisie » – et de toute évidence, ils en éprouvaient du ressentiment.
264 La protestation la plus inconvenante du type « pas à nous de faire ce travail » qui est venue d’Aide juridique Ontario a été sa tentative, durant la négociation du protocole, de proclamer qu’il serait illégal pour elle d’accepter de valider les ordonnances Rowbotham et Fisher, en raison du mandat que lui conférait la loi. Cette interprétation de la loi n’a évidemment aucune crédibilité, et n’était rien d’autre qu’un artifice pour éviter d’avoir à traiter des cas qui ne cadraient pas parfaitement avec son système informatisé et ses règles. Ce qui aurait dû motiver Aide juridique Ontario, c’étaient une attitude positive et le souci du service au public.
265 C’est donc ainsi que tout a commencé, mais l’un des facteurs qui a contribué au problème était le désir d’Aide juridique Ontario de se limiter aux systèmes établis et aux habitudes, et d’éviter toute responsabilité qui exigerait à la fois de l’imagination et une attention personnalisée. Comme on nous l’a dit, les ordonnances Rowbotham et Fisher doivent être saisies manuellement dans le système informatisé. Très clairement, une partie du personnel d’Aide juridique Ontario trouvait irritant de devoir traiter ces cas, parce qu’ils étaient plus exigeants.
266 Dans une note de service préparée par lui le 8 juin 2007, alors que la nouvelle du fiasco du financement de M. Wills allait éclater, le directeur de la Gestion des causes majeures a écrit ceci :
Nous ne pouvons pas offrir complètement la Gestion des causes majeures d’AJO aux cas avec « ordonnance Fisher » pour un certain nombre de raisons. En plus des différences de tarification, [la Gestion des causes majeures] exige ceci : les décisions de gestion de cause sont prises par les directeurs régionaux; les désaccords quant aux autorisations entraînent un appel direct au président; les causes dont le budget prévu dépasse les 75 000 $ vont au [Comité des exceptions]; les débours sont autorisés conformément aux tarifs d’AJO et sont décidés en fonction de nombreux facteurs particuliers aux causes d’AJO. Ce ne sont là que quelques-unes des différences majeures…
Étant donné qu’il n’existe pas de mécanisme de recours, dans ces cas, si les avocats sont en désaccord ou refusent de se conformer à nos processus, nous restons inefficaces et frustrés.
Bref, le travail était malvenu parce qu’il ne cadrait pas bien avec le système.
267 Cette note de service du directeur de la Gestion des causes majeures est troublante à bien des égards. Premièrement, elle a été rédigée plus d’un an après que le juge Shaughnessy a enjoint à Aide juridique Ontario d’appliquer le programme de Gestion des causes majeures et après que le directeur de la Gestion des causes majeures a écrit aux intéressés et au tribunal, disant que le processus était en place. Maintenant, dans cette note, il décrivait le processus comme un processus qu’Aide juridique Ontario ne pouvait pas offrir. Deuxièmement, cette note ignorait le fait qu’Aide juridique Ontario avait offert ce type de service pendant des années. Et troisièmement, cette note montrait un manque d’imagination regrettable ainsi qu’un manque d’engagement à vouloir résoudre les problèmes, engagement qui est l’un des atouts d’un bon service public.
268 Chose attristante, cette attitude qui consiste à dire que « ça ne cadre pas » a été avancée en guise d’explication pour ce qui s’est passé dans l’affaire Wills. À mon avis, il ne fait guère de doutes que la note de service du 8 juin 2007 était une tentative de justifier ces événements, au moment précis où le problème allait devenir public. Mme Fairburn nous a dit qu’elle avait discuté de ces événements avec les responsables d’Aide juridique Ontario, mais que la seule explication qu’ils lui avaient donnée était qu’ils n’avaient tout simplement pas les moyens de traiter les causes ne bénéficiant pas de l’aide juridique. Apparemment, ils ont souligné le fait que le Comité des exceptions, chargé des causes avec un budget supérieur à 75 000 $, était un comité composé de bénévoles. Aide juridique Ontario considérait qu’il n’aurait pas été juste de référer l’affaire Wills à ce comité, vu son caractère bénévole.
269 Ceci n’est pas du tout convaincant. Le comité n’a jamais été consulté. Les bénévoles auraient probablement accepté. Et quoi qu’il en soit, le 6 juin 2006, Aide juridique Ontario a véritablement entrepris d’appliquer son système de Gestion des causes majeures à cette affaire – et elle avait tenté de l’appliquer avant le refus de M. Hamalengwa.
270 Aide juridique Ontario a également cité le refus de M. Hamalengwa comme un autre exemple montrant pourquoi « ça ne cadrait pas ». En effet, le processus de Gestion des causes majeures dépend de la collaboration de l’avocat et Aide juridique Ontario n’avait nullement la compétence d’imposer une coopération à M. Hamalengwa. Mais M. Hamalengwa était tenu de se conformer à une ordonnance judiciaire. Peut-on espérer meilleur mécanisme coercitif de coopération?
271 C’est cette attitude consistant à dire « pas à nous de faire ce travail » qui s’est avérée un terreau fertile où la faible objection de M. Hamalengwa à une validation de ses comptes a pu prendre racines – .
272 Le directeur de la Gestion des causes majeures a montré du doigt M. Hamalengwa – et le fait qu’il n’avait présenté au directeur de la Gestion des causes majeures qu’une partie de la transcription de son dialogue avec le juge à propos de la « validation » – quand il a été question d’expliquer pourquoi Aide juridique Ontario avait opté de tout simplement faire une approbation automatique des comptes. Mais cette excuse, qui revient à dire « nous avons été dupés », est honteuse. Une lecture consciencieuse de tout passage de l’ordonnance du juge montre qu’il attendait plus qu’une simple vérification « des calculs ». Cette considération mise à part, comment une institution peut-elle prendre une décision qui va mettre en jeu près d’un million de dollars en s’appuyant sur un simple extrait de transcription, si elle a le sens des responsabilités? Comment une institution, après avoir écrit à tous les intéressés qu’elle a connaissance d’une ordonnance, peut-elle ignorer ce qui est exigé d’elle et agir uniquement en s’appuyant sur un extrait? Peu importe comment on présente ou explique ce fait, c’est un non-respect complet.
273 Pour envenimer encore les choses, la note de service du directeur de la Gestion des causes majeures tentait de rejeter la responsabilité – sur le juge, pas moins :
(Le fait qu’un avocat soit parvenu à rester au tribunal avec ce client pour la plus grande partie de l’année présente un certain mérite, et il est regrettable que la juge Fuerst n’ait pas mis les rênes au client en mettant les rênes à l’avocat. Il y aurait probablement eu alors un procès avec « amicus », mais le procès aurait été beaucoup plus court et guère moins sujet à attaque en appel.) Sommes-nous mieux placés pour contrôler ce client par l’intermédiaire de son avocat? Sans contrôle financier et sans contrôle de la qualité sur l’avocat, et compte tenu de notre obligation statutaire de protéger le secret professionnel de l’avocat, nous sommes dans l’incapacité d’assurer un niveau pertinent de services de gestion, sinon pour nous « assurer… que les calculs sont corrects », pour citer le juge Shaughnessy.
274 Rappelons que la juge Fuerst avait pour responsabilité de mener un procès équitable. De tous les intéressés, elle était la dernière personne à pouvoir décider quant aux fonds que devrait dépenser la défense. Tout ce qu’elle pouvait faire, et qu’elle a fait, c’était de décider après avoir entendu les parties en présence et d’exprimer ses inquiétudes en demandant qui payait pour toutes ces requêtes frivoles, ces stratégies de défense sans but, avocat après avocat. Rappelons aussi qu’une année auparavant, le directeur de la Gestion des causes majeures avait envoyé copie d’une lettre à la juge affirmant qu’il travaillait à un budget.
275 Mais le plus affligeant, c’est que le directeur de la Gestion des causes majeures a fabriqué de toutes pièces une correspondance et des endossements de comptes qui ont mené tout le monde à croire que les choses progressaient comme elles le devaient. Ces documents indiquaient qu’un budget et une supervision existaient, alors qu’il savait que c’était faux. L’explication qu’il en a donnée? Les renseignements privilégiés entre avocat et client.
276 En fait, il n’y avait pas de renseignements privilégiés à violer. Comment une discussion entre un avocat, qui fait l’objet d’une ordonnance de validation, et un organisme de validation auquel cet avocat affirme que ses comptes ne devraient pas être soumis à un examen de validation, peut-elle être considérée comme privilégiée? Comment l’ordonnance aurait-elle pu être exécutée si tel était le cas? M. Hamalengwa ne divulguait pas de renseignements confidentiels de son client, pas plus qu’il ne révélait de stratégies élaborées par lui pour la cause de son client. Il y a tout un monde de différence entre le privilège de non-divulgation qui empêche le Ministère de connaître les détails du budget de son opposant (et c’est pourquoi l’examen par un tiers est requis) et une discussion à propos de la signification d’une ordonnance judiciaire sur la gestion des comptes d’un avocat, qui se tient entre l’avocat et l’administrateur putatif des comptes. Il est effarant que le directeur de la Gestion des causes majeures ne l’ait pas compris. Il est à effarant qu’il ne se soit pas donné la peine d’obtenir un conseil juridique sur la question pour s’en assurer.
277 Quoi qu’il en soit, rien de tout ceci n’explique comment le directeur de la Gestion des causes majeures a pu envoyer sa lettre du 21 août 2006, qui allait inciter tout lecteur sensé à croire qu’un budget était mis en place, quand en fait il n’en était rien.
278 Enfin, comment se fait-il que les erreurs d’administration du directeur de la Gestion des causes majeures n’aient jamais alerté ses supérieurs? Ce n’est pas comme si ce dossier n’avait pas préoccupé particulièrement Aide juridique Ontario. Les avocats d’Aide juridique Ontario avaient comparu au tribunal, il y avait eu des notes de service et des échanges de correspondance avec le Ministère. Et pourtant, la directrice des Services aux avocats et paiements nous a déclaré que jusqu’au 31 mai 2007 elle avait eu l’impression que les comptes présentés relativement à la défense de M. Wills étaient examinés conformément au programme de Gestion des causes majeures, bien qu’elle ait a reconnu savoir à un certain point qu’aucun budget n’avait été mis en place. Elle a expliqué qu’elle avait compris ce qui se passait vraiment à peu près à l’époque de la lettre adressée par le directeur de la Gestion des causes majeures à M. Napal. Elle s’est souvenue que le directeur de la Gestion des causes majeures lui avait montré l’extrait de transcription de l’audience du 6 juin 2006 et lui avait expliqué qu’Aide juridique Ontario avait pour seule responsabilité de vérifier les calculs.
279 Sa version des événements diverge de celle du directeur de la Gestion des causes majeures qui dit avoir informé sa supérieure de la situation, mais ne pas avoir reçu d’elle l’ordre d’aviser le Ministère de sa décision de remplacer le processus budgétaire par de simples « calculs ».
280 Il ne me revient pas de conclure sur qui dit vrai. Mais je dirai que, même si la directrice des Services aux avocats et paiements n’a appris qu’en mai 2007 qu’Aide juridique Ontario se délestait de sa responsabilité, cette ignorance des faits marque un échec de gestion et de supervision. Aide juridique Ontario était alors si déterminée à protéger son propre budget que son président recevait les appels et les avis relatifs aux budgets de la Gestion des causes majeures. Mais quand il s’agissait des causes qui mettaient en jeu les fonds du Ministère, personne à la direction ne s’est donné la peine de vérifier les dossiers? Si tel est le cas, c’est une autre indication de la légèreté avec laquelle Aide juridique Ontario a pris ses responsabilités d’aider le Ministère à protéger les fonds publics.
281 Les problèmes qui existaient au sein d’Aide juridique Ontario et qui ont mené au fiasco du financement de l’affaire Wills n’ont pas échappé à la nouvelle administration mise en place. En juillet 2007, John McCamus a été nommé président du conseil d’administration et, à l’automne 2006, Robert Ward a pris le poste de président-directeur général. Avec ces deux hommes à sa tête, Aide juridique Ontario travaille à une amélioration de son rôle dans la gestion des comptes du Ministère.
282 M. Ward nous a déclaré qu’il reconnaissait que, en tant que société publique responsable de fonds publics, il est pertinent pour Aide juridique Ontario d’aider le Ministère à superviser des comptes juridiques. M. Ward a également vu la nécessité d’améliorer la structure de responsabilisation d’Aide juridique Ontario. Dans le cadre de l’évolution de cette société, des mesures de contrôle ont été prises relativement aux causes d’aide juridique avec ordonnances judiciaires. La société procède à l’embauche d’un nouveau gestionnaire qui sera directement responsable de traiter ces comptes. À l’avenir, quand la société recevra des ordonnances Rowbotham et Fisher, M. Ward devra en être avisé, de même que l’avocat de la société. Ces questions ne sont plus considérées comme relevant des cadres moyens de gestion. Enfin, M. Ward a reconnu la nécessité de mettre en place des systèmes permettant aux membres du personnel de demander des clarifications à leurs supérieurs et à ceux avec qui ils travaillent, par exemple au Ministère.
283 Soulignons qu’Aide juridique Ontario n’ignore aucunement le passé dans son souci de construire l’avenir. Par le biais de son Comité des finances et de la vérification, le conseil d’administration procède actuellement à un examen des comptes de l’affaire Wills et se penche sur les circonstances qui ont mené à un manque de vérification pertinente auparavant. Aide juridique Ontario semble avoir pris la bonne direction.
284 La réaction de la nouvelle administration à Aide juridique Ontario face au fiasco de l’affaire Wills est louable, mais les changements structurels restent à un stade embryonnaire. Il est important de surveiller ces changements, pour qu’ils puissent être rectifiés à temps en cas d’échec. C’est pourquoi je recommande qu’Aide juridique Ontario me tienne informé tous les six mois des progrès réalisés dans ce domaine, en fournissant à l’appui des renseignements précis sur le nombre de causes qu’elle gère, le type de causes qu’elle gère, les processus de gestion alors suivis par elle, les montants recommandés en vue de paiements, ainsi que la forme prise par l’examen de supervision (Recommandation 1).
285 Je recommande qu’Aide juridique Ontario informe le Ministère et mon Bureau des résultats de sa vérification quant à l’affaire Wills (Recommandation 2). Certes, je comprends que certains renseignements peuvent tomber sous le coup du secret professionnel de l’avocat, mais je crois que la Société devrait pouvoir présenter un rapport détaillé des résultats de ses conclusions sans divulguer d’information privilégiée.
286 Il existe de bonnes raisons de se demander si les fonds publics consacrés à la défense de Richard Wills ont été sagement dépensés – et ceci non seulement pour les 1 105 063,42 $ déjà payés, mais aussi pour la facture de plus de 92 000 $ que M. Hamalengwa cherche encore à recouvrer. Le juge d’instance et un amicus curiae ont tous deux exprimé des doutes sur la manière dont l’intérêt du public avait été servi dans cette cause, même si on exclut les fonds perdus dans la préparation effectuée par les avocats que M. Wills a limogés. Il y a toute raison de croire que c’est M. Wills lui-même, et non son avocat, qui a pris bon nombre des décisions tactiques. Quoi qu’il en soit, la plus grande partie du travail a été faite en pure perte. Andras Schreck, qui a remplacé M. Borenstein à titre d’amicus curiae durant le procès, nous a dit :
Beaucoup de temps a été consacré à des requêtes préalables au procès et à des requêtes en cours de procès qui étaient frivoles, à mon avis, et qu’aucun avocat de la défense le moindrement chevronné n’aurait présentées ou n’aurait considérées. Et en ce sens, je crois que c’est une perte de fonds publics.
287 Certes, je félicite le conseil d’administration d’Aide juridique Ontario de procéder à une vérification des comptes, et bien que son expertise soit appréciée, Aide juridique Ontario est trop en situation conflictuelle pour tirer tout ceci au clair pour le public. Sans avancer le moindrement que ce point pourrait influencer l’évaluation qui sera faite, précisons que cette société a intérêt à minimiser les dommages causés. Ne serait-ce que par souci des apparences, une évaluation indépendante conviendrait mieux pour sauvegarder la confiance du public dans l’administration de la justice.
288 Idéalement, les comptes pourraient être pleinement taxés par l’agent d’évaluation de la Cour supérieure de justice de l’Ontario étant donné qu’il peut rejeter les dépenses inappropriées, qui peuvent alors être recouvrées auprès de l’avocat. De cette manière, toute dépense non fondée pourrait peut-être être récupérée auprès des avocats concernés. Par cette recommandation, je ne mets aucunement en doute l’honnêteté ou l’intégrité d’un avocat quelconque; la taxation est un examen du bien-fondé des comptes, compte tenu du mandat de représentation. Pour que le public garde confiance dans la bonne administration de la justice, les meilleurs efforts doivent être déployés afin d’optimiser l’utilisation des fonds. C’est pourquoi je recommande que le Ministère prenne toutes les mesures possibles pour procéder à une taxation judiciaire des comptes payés par lui à la défense de l’affaire Wills (exception faite des comptes Wasser)[32] et que, s’il est d’opinion que ceci n’est pas faisable légalement, il en fasse part à mon Bureau pour que le bien-fondé de cette opinion puisse être évaluée (Recommandation 3).
289 Ce qui reste en travers de la gorge, une fois que toute l’affaire a été digérée, c’est que, peu importe sa motivation, Richard Wills s’est défait intentionnellement d’avoirs importants avant de faire appel aux fonds publics pour sa défense. Ceci a causé une indignation considérable.
290 Cependant, comme le juge Shaughnessy, je considère que ce n’est pas une solution de refuser le financement de la défense ou d’y mettre des conditions impossibles dans pareils cas, comme Aide juridique Ontario a l’habitude de le faire. Quand un accusé n’a pas les moyens de payer sa défense, peu importe comment il en est arrivé là financièrement, la réalité est qu’il peut avoir besoin de l’aide publique. Quand un tel accusé s’est mis lui-même dans une situation de pauvreté, la solution n’est pas de lui refuser le financement de sa défense et de risquer un procès injuste en l’envoyant sans représentation au tribunal; la solution est de récupérer les fonds qu’il a transférés.
291 La loi en Ontario prévoit des redressements dans certaines circonstances si un particulier a cédé des biens dans l’intention de contrecarrer, gêner, retarder ou frauder ses créanciers. Les créanciers peuvent tenter de contester de telles transactions en vertu de la Loi sur les cessions et préférences, si un débiteur a cédé une propriété à un créancier, était insolvable ou à la veille d’être insolvable, avait l’intention de privilégier un créancier plutôt qu’un autre, ou si la disposition avait pour effet de privilégier un créancier. En vertu de la Loi sur les cessions en fraude des droits des créanciers, un tribunal peut déterminer que ces transactions sont nulles, sous réserve que le transfert n’ait pas été effectué à quelqu’un agissant de bonne foi, moyennant juste contrepartie. Pour obtenir gain de cause en vertu de cette Loi, un créancier ou une « autre » personne doit montrer que le débiteur a disposé de ses biens pour une contrepartie nominale, dans l’intention de contrecarrer ses créanciers.
292 Il se pourrait fort bien que ces dispositions législatives ne s’appliquent pas aux cas des accusés qui, comme M. Wills, abritent leurs avoirs avant de demander l’aide juridique. La jurisprudence indique que dans le cas de la Loi sur les cessions en fraude des droits des créanciers, les créanciers et les « autres » doivent exister quand s’effectuent les transferts[33]. Or, Aide juridique Ontario n’était pas un créancier de M. Wills avant que celui-ci ne transfère ses avoirs. Les tribunaux ont aussi accordé certaines marges de manoeuvre à des particuliers pour qu’ils remettent de l’ordre dans leurs affaires et pour protéger leurs avoirs personnels contre des créances futures, et non pas présentes[34].
293 Toutefois, les demandes d’aide juridique diffèrent clairement des cas ordinaires débiteurs-créanciers. Dans les cas ordinaires débiteurs-créanciers, des forces de marché interviennent, qui peuvent empêcher une personne de se défaire de ses avoirs avant la créance; un créancier peut toujours refuser d’accorder un crédit si un débiteur vient tout juste de s’armer contre un jugement, dans l’attente du contrat. Les relations débiteurs-créanciers sont liées volontairement entre les deux parties, alors que l’aide juridique est accordée en fonction de dispositions de loi, quand il y a admissibilité, et cette aide est attribuée non seulement dans les intérêts du particulier mais aussi dans les intérêts du public, en vue d’un procès équitable. C’est pourquoi, en pratiquant la « politique du bord de l’abîme », les accusés au criminel peuvent tomber à la charge de l’État avant de demander l’aide juridique, sachant que l’État ne peut pas s’acquitter de son obligation de leur assurer un procès équitable sans financer leur défense. Toute raison de politique visant à limiter la Loi sur les cessions et préférences ou la Loi sur les cessions en fraude des droits des créanciers aux ententes existantes de crédit ne s’applique pas aux demandes d’aide juridique.
294 C’est pourquoi je recommande que le Gouvernement présente une mesure législative qui permettrait à Aide juridique Ontario et à la Couronne de demander à un tribunal de déterminer si le transfert d’avoirs d’un particulier a été fait délibérément dans le but de le rendre admissible à l’aide juridique de l’État (Recommandation 7). Il pourrait même y avoir une présomption contestable que ce transfert a été fait dans une telle intention s’il est effectué une fois que des accusations au criminel ont été portées, ou si des accusations au criminel vont vraisemblablement être portées. Le tribunal aurait le pouvoir d’annuler de telles transactions, ou de trouver un destinataire de transfert responsable de verser le solde de tout transfert ultérieur de biens à une partie agissant de bonne foi. Le tribunal serait également autorisé à considérer tout autre intérêt des créanciers, notamment les obligations de pension, lorsqu’il détermine comment agir.
295 Un autre amendement législatif que le Gouvernement pourrait envisager serait de déclarer que céder des biens ou recevoir sciemment des biens sans contrepartie, ou avec contrepartie inadéquate, dans des circonstances où l’auteur du transfert compte demander l’aide juridique, constitue une infraction provinciale.
296 Pour sa part, M. Wills avait clairement l’intention de se rendre indigent avant de faire une demande à Aide juridique Ontario. Même s’il avait pour motif d’aider sa famille, il savait parfaitement qu’il se débarrassait de biens dont il aurait besoin pour payer sa défense et que, ce faisant, il allait devoir faire appel aux fonds publics. Il est clair qu’après avoir perdu 70 000 $ en frais juridiques parce qu’il avait limogé ses avocats, M. Wills ne comptait plus contribuer de quelque manière que ce soit au financement de sa défense, même s’il avait alors les moyens de le faire. Sa position ressort clairement de la question qu’il a posée au juge Kenkel – à savoir s’il devrait rembourser les fonds au cas où un tribunal désignerait un avocat pour lui. Son attitude se traduit aussi dans sa décision de transférer à son ex-femme les 10 000 $ restants de l’acompte à son avocat, alors que sa demande à Aide juridique Ontario était en attente, et ceci en dépit du fait qu’il avait déjà versé à son ex-femme des sommes bien supérieures à celles qu’elle aurait reçues conformément à un accord intégral de séparation. Sa décision de transférer toute sa pension – c’est-à-dire sa seule source de revenu – est une décision que personne ne prendrait par sens de ses obligations envers d’autres. Ses transactions ultérieures montrent des « indices de fraude » recherchés dans les cas de faillite : elles ont eu lieu entre des membres de proche parenté, elles ont éliminé quasiment tous ses biens et elles se sont produites dans un laps de temps relativement court. M. Wills s’est débarrassé de ses avoirs afin de pouvoir faire financer sa défense par les fonds publics, sans avoir à rembourser qui que ce soit.
297 M. Wills s’est clairement débarrassé de ses avoirs pour bénéficier du financement public de sa défense, ce qui est intolérable. Le Ministère doit le contester. Sachant bien que le Ministère risque de se retrouver dans une impasse, je recommande néanmoins qu’il explore toutes les possibilités de recouvrer les sommes consacrées à la défense de M. Wills (Recommandation 4).
298 Le protocole qui a été négocié entre le ministère du Procureur général et Aide juridique Ontario est un document intéressant, mais ce n’est qu’un protocole. C’est un document de politique interne, qui ne lie ni les poursuivants, ni les avocats de la défense, ni les juges. De plus, trop souvent, les protocoles mangent la poussière sur les étagères gouvernementales, n’exprimant rien d’autre que des aspirations passées en réponse à des événements oubliés. C’est pourquoi je recommande une solution législative. Je comprends que l’affaire Wills est tout à fait exceptionnelle, que c’est une aberration qui a résulté d’une parfaite tempête de méfaits et d’erreurs de jugement, et qu’il est souvent mal avisé d’adopter des lois pour traiter d’exceptions perverses. Mais ce n’est pas le cas ici. Le fiasco de l’affaire Wills a été le signal d’alarme de nombreux problèmes systémiques que seule la loi peut rectifier convenablement.
299 En premier lieu, Aide juridique Ontario a fait preuve de confusion quant à son rôle légal et a résisté à accepter sa responsabilité quant aux comptes payables par le ministère du Procureur général, allant jusqu’à suggérer à une occasion que la loi lui interdisait d’apporter son aide dans pareil cas. Légiférer peut mettre fin à cette confusion en affirmant avec une autorité indéniable que la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique est le texte de référence central pour la gestion des fonds publics en matière de justice.
300 Deuxièmement, la loi actuelle n’a pas pu clarifier les rôles relatifs du Ministère et d’Aide juridique Ontario. La confusion quant à la signification de la gestion et quant au rôle de la confidentialité a alimenté le feu où ont brûlé tant de dollars des contribuables. Légiférer peut remédier à ces problèmes en énonçant des critères administratifs pertinents.
301 Troisièmement, aucun cadre administratif n’est en place pour superviser les différents types d’ordonnances de financement relatives aux frais juridiques existants. Légiférer permettrait de mettre en place le mécanisme voulu, non seulement pour les ordonnances Rowbotham et Fisher, mais pour tous les éléments couverts par la Loi sur les instances introduites contre la Couronne, y compris le financement de la Commission ontarienne d’examen, le financement des appels au criminel conformément à des ordonnances en vertu du Code criminel, les demandes de dossiers par un tiers, ou les ordonnances de financement pour les avocats qui procèdent au contre-interrogatoire d’enfants dans des causes de violence sexuelle.
302 Une telle loi pourrait même inclure l’examen du financement des amicus curiae. Les deux « amis de la Cour » désignés par des juges dans l’affaire Wills ont facturé globalement plus de 200 000 $. Pourtant, comme nous l’a déclaré M. Schreck, « personne ne [nous] a surveillés et n’a fait de vérification pour voir si [on] gaspillait de l’argent, aucun mécanisme n’était en place pour cela ». Ces comptes ont été parfois payés par le biais des Services judiciaires, et non à partir du budget du Ministère ou de celui d’Aide juridique Ontario. Cet imbroglio en matière d’attribution budgétaire est insensé.
303 Les juges ne sont pas tenus de se conformer au protocole du Ministère/d’Aide juridique Ontario. Ils sont tenus de se conformer à la loi. Mettre en place un dispositif administratif réglementaire clair permettrait de guider, d’étoffer et d’uniformiser le processus pour toutes les ordonnances pertinentes.
304 Une telle loi pourrait et devrait également inclure un mécanisme propre à empêcher le type de pertes survenues dans l’affaire Wills, quand il a limogé avocat après avocat. Je comprends bien qu’il est impossible d’interdire absolument aux clients de renvoyer leurs avocats, même quand des fonds publics sont en jeu; dans certaines occasions, pour des raisons légitimes, le climat de confiance disparaît. Mais M. Wills a renvoyé ses avocats pour des raisons tactiques, afin de retarder le processus, ou bien encore parce que ses avocats ne voulaient pas suivre ses instructions et présenter sa cause comme il le voulait, sans tenir compte de leurs conseils et de leurs principes, sans égard à la futilité ou l’inutilité de ses instructions à lui. Il n’existe pas de mesure de contrôle parfaite pour ce type d’abus, mais à mon avis, les accusés seraient fort probablement dissuadés de faire pareils abus s’ils devaient obtenir une approbation judiciaire avant de changer d’avocats payés par l’État. Aide juridique Ontario devrait pouvoir participer à de telles audiences.
305 Je comprends que des questions de renseignements privilégiés puissent entrer en jeu, de même que des considérations en vertu de la Charte, mais les juges qui rendent ces décisions peuvent évaluer les explications qui leur sont offertes dans le contexte d’une cause et peuvent prendre en compte les droits constitutionnels comme l’exigent les faits présentés. L’absence de contrôle réel n’est pas acceptable.
306 C’est pourquoi je recommande que la Loi de 1998 sur les services d’aide juridique soit modifiée pour imposer clairement une obligation statutaire à Aide juridique Ontario de gérer tous les fonds provinciaux destinés au règlement de frais juridiques, et pour établir des critères quant aux montants et à l’évaluation de tels frais (Recommandation 6).
307 Il ne m’appartient pas de juger si les tarifs d’aide juridique dans cette province sont adéquats. La question fait actuellement l’objet d’un examen de la part du professeur Michael Trebilcock, de l’Université de Toronto. Toutefois, ce rapport devrait appuyer le professeur Trebilcock s’il en vient finalement à recommander une augmentation de ces tarifs. L’affaire Wills a clairement donné l’exemple d’un avocat chevronné et réputé qui a absolument refusé de travailler aux tarifs d’Aide juridique Ontario et qui a présenté une protestation passionnée et convaincante de ne pas le faire. Mon enquête a également montré qu’il peut s’avérer faussement économique de payer des tarifs non concurrentiels; si un tribunal doit rendre une ordonnance Fisher ou nommer un amicus curiae, le coût sera plus élevé en fin de compte. En outre, s’en remettre à des ordonnances Fisher, même dans des causes exceptionnelles, c’est accepter un système à deux volets où certains accusés reçoivent plus de financement que d’autres pour leurs avocats. C’est un point difficile à justifier. Je suis certain que ce sont là des considérations qui n’échapperont pas au professeur Trebilcock quand il présentera son rapport au Gouvernement.
308 Je suis d’avis que, conformément aux alinéas 21 (1) b) et d) de la Loi sur l’ombudsman, le manquement d’Aide juridique Ontario à gérer adéquatement le financement par l’État de la défense de Richard Wills était déraisonnable et erroné.
309 Pour remédier aux carences révélées par mon enquête quant au rôle joué par Aide juridique Ontario dans le financement de la défense au criminel de Richard Wills, je fais les recommandations suivantes :
Recommandation 1
310 Je recommande qu’Aide juridique Ontario fasse rapport à mon Bureau tous les six mois sur le progrès des changements apportés à ses pratiques quant à la gestion des comptes sans certificat, au nom du ministère du Procureur général, en indiquant notamment le nombre et le type de causes gérées, les processus utilisés dans la gestion, les montants recommandés en vue de paiements et la forme prise par l’examen de supervision, et ceci jusqu’à ce que je sois satisfait que cet organisme gère correctement les questions relatives aux causes sans certificat.
Alinéa 21 (3) g) Loi sur l’ombudsman
Recommandation 2
311 Je recommande qu’Aide juridique Ontario communique les résultats de sa vérification de l’affaire Wills au ministère du Procureur général et à mon Bureau, et qu’elle informe mon Bureau de toute mesure qu’elle compte prendre pour remédier aux problèmes qu’elle a identifiés, notamment tout changement proposé à ses processus et politiques internes. Je recommande qu’Aide juridique Ontario présente à mon Bureau des rapports de mise à jour tous les six mois sur les progrès effectués par elle dans la mise en oeuvre de tout changement, jusqu’à ce que je sois satisfait que toute question a été adéquatement réglée.
Alinéa 21 (3) g) Loi sur l’ombudsman
Recommandation 3
312 Je recommande que le ministère du Procureur général prenne toute mesure nécessaire pour tenter de faire évaluer les comptes soumis par la défense dans l’affaire Wills par le Bureau d’évaluation de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, ou par un autre fonctionnaire judiciaire. Ceci s’appliquerait aux comptes pour la période commençant après le renvoi de Mme Wasser en tant qu’avocate et se terminant le 14 juin 2007, quand Aide juridique Ontario a commencé à examiner les comptes. Si le Ministère décide qu’aucune mesure n’est possible, il devrait m’informer de l’opinion qui sous-tend cette conclusion.
Alinéa 21 (3) g) Loi sur l’ombudsman
Recommandation 4
313 Je recommande que le Ministère explore toutes les possibilités de récupérer tout argent dépensé relativement à la défense de M. Wills, en faisant appel à tout recours judiciaire existant et qu’il prenne toute mesure possible pour recouvrer ces montants.
Alinéa 21 (3) g) Loi sur l’ombudsman
Recommandation 5
314 Je recommande que le Ministère me fasse rapport tous les six mois des progrès effectués pour évaluer les comptes juridiques de cette cause et pour tenter de récupérer tout argent dépensé relativement à la défense de M. Wills, et ceci jusqu’à ce que je sois satisfait que des mesures adéquates ont été prises pour régler la question.
Alinéa 21 (3) g) Loi sur l’ombudsman
Recommandation 6
315 Je recommande que le Gouvernement de l’Ontario instaure un dispositif législatif pour gérer les ordonnances judiciaires relatives au financement des avocats de la défense par la Province. La loi devrait stipuler que :
- toutes les ordonnances judiciaires exigeant la nomination d’un avocat dans la défense d’un accusé aux frais de la Province seront gérées par Aide juridique Ontario;
- à moins d’indication contraire, un avocat de la défense qui assure ses services en vertu d’une ordonnance exigeant son financement par la Province sera payé aux tarifs d’Aide juridique Ontario et ses comptes seront gérés conformément aux politiques et procédures d’Aide juridique Ontario;
- cet avocat ainsi nommé sera tenu de respecter les décisions d’Aide juridique Ontario quant aux comptes gérés par elle et pourra recourir au processus interne d’appel existant d’Aide juridique Ontario;
- cet avocat qui assure ses services en vertu d’une ordonnance judiciaire ne pourra pas être changé sans approbation du tribunal; et
- à moins d’indication contraire, les tarifs de rémunération des amicus curiae seront les tarifs d’Aide juridique Ontario et leurs comptes seront gérés conformément aux politiques et procédures d’Aide juridique Ontario.
Alinéa 21 (3) g) Loi sur l’ombudsman
Recommandation 7
316 Je recommande que le Gouvernement de l’Ontario présente une mesure législative qui permettrait à Aide juridique Ontario et à la Couronne de demander au tribunal de déterminer si un transfert d’avoirs a été fait délibérément, sans considération appropriée, pour qu’un particulier devienne admissible à une aide juridique de l’État, et qui donnerait au tribunal le pouvoir d’annuler une transaction, ainsi que le pouvoir d’exiger que le destinataire du transfert verse le produit de toute vente ultérieure des biens à Aide juridique Ontario ou au Gouvernement de l’Ontario, selon le cas.
Alinéa 21 (3) g) Loi sur l’ombudsman
Recommandation 8
317 Je recommande que le Gouvernement de l’Ontario fasse rapport à mon Bureau tous les six mois sur les progrès effectués quant au progrès des changements législatifs pour mettre en place un dispositif réglementaire de gestion des ordonnances judiciaires pour les avocats de la défense financés par la Province et pour traiter des cas de particuliers qui se défont délibérément de leurs avoirs afin de devenir admissibles à un avocat de la défense financé par l’État, et ceci jusqu’à ce que je sois satisfait que les problèmes soulevés par l’affaire Wills ont été réglés.
Alinéa 21 (3) g) Loi sur l’ombudsman
318 Une fois mon enquête conclue, j’ai présenté un rapport préliminaire accompagné de recommandations à Aide juridique Ontario, au ministère du Procureur général et au Procureur général, pour qu’ils étudient et commentent ce document. Le président-directeur général d’Aide juridique Ontario a répondu au nom de cet organisme et le sous-procureur général a répondu au nom du Ministère et du Procureur général.
319 Dans sa réponse du 8 février 2008, Aide juridique Ontario a pleinement reconnu sa responsabilité quant à son manquement à gérer correctement les comptes dans l’affaire Wills. Aide juridique Ontario a également accepté mes recommandations sans réservation. Ce faisant, Aide juridique Ontario a apporté les commentaires suivants :
AJO accepte la conclusion centrale du rapport disant qu’AJO n’a pas bien géré l’affaire Wills, qu’AJO n’a pas bien examiné les comptes des avocats de la défense avant l’ordonnance judiciaire du 14 juin 2007 et que la supervision qui aurait dû être assurée par la direction a fait gravement défaut.
Comme vous l’avez indiqué dans votre rapport, l’examen des comptes faits par AJO au nom du Ministère avait été effectué de manière rigoureuse et responsable avant l’affaire Wills. Vous avez également noté qu’AJO avait procédé avec diligence à l’examen des comptes Wills après l’ordonnance judiciaire du 14 juin 2007. Au nom d’AJO, j’exprime le profond regret qu’AJO n’ait pas montré la même rigueur et le même sens des responsabilités dans la gestion de la cause Wills avant l’ordonnance judiciaire. Votre rapport explique en détail les nombreux faits et enjeux inhabituels de cette cause, qui n’expliquent toutefois pas le manque d’efficacité administrative qui s’est manifesté dans ce cas.
320 Aide juridique Ontario a également entrepris d’apporter des améliorations à sa gestion des comptes d’avocats de la défense pour les futures causes avec ordonnance judiciaire. Aide juridique Ontario a non seulement conclu un protocole avec le Ministère, mais nous a fait savoir qu’elle prenait les mesures positives suivantes :
-
AJO continue de travailler avec le Ministère à l’élaboration de processus et de directives de soutien, pour garantir une gestion sage et efficace de ces causes, avec notamment une fonction accrue de supervision proactive durant la procédure judiciaire.
-
AJO a apporté des changements à la gestion des causes sans certificat en créant une nouvelle unité et en engageant un gestionnaire responsable de leur supervision. Ce gestionnaire est placé directement sous les ordres du vice-président.
-
AJO a renforcé la supervision qu’exerce la direction sur toutes les causes ayant un budget supérieur à 75 000 $, en exigeant l’approbation financière de la direction.
-
AJO procède à un examen de toutes les politiques et pratiques des « causes majeures » au criminel et étudie quelles mesures supplémentaires sont requises dans le but de mieux rendre des comptes pour toutes ces causes. AJO consultera le Barreau et le ministère du Procureur général à propos des niveaux pertinents de supervision par la direction et d’analyse des différentes catégories de causes majeures.
-
AJO communiquera à mon bureau et au Ministère les résultats de l’examen interne fait par son conseil d’administration sur la manière dont AJO a traité l’affaire Wills. Conformément à ma recommandation, le conseil d’administration recommandera également au Ministère que les comptes des avocats de la défense de l’affaire Wills fassent l’objet d’une évaluation, si possible par le processus habituel de taxation de la Cour.
321 Aide juridique Ontario a bien accepté mes recommandations et s’est engagée à m’informer de ses progrès quant à la gestion des causes majeures. En conclusion, Aide juridique Ontario a montré sa volonté d’amélioration pour mieux servir les intérêts du public de l’Ontario. Son président-directeur général a noté ceci :
AJO convient, comme vous, qu’il est important de ne pas oublier le passé quand on construit l’avenir. AJO a tiré des leçons de son expérience dans l’affaire Wills et AJO s’engage à s’assurer que sa gestion présente et future des comptes de causes criminelles majeures, y compris des causes sans certificat, s’effectue de manière rigoureuse et responsable, conformément au mandat conféré par la loi, qui est d’offrir uniformément des services d’aide juridique de haute qualité, de manière efficace et économique, aux particuliers à faible revenu partout en Ontario, en veillant à optimiser les fonds publics des contribuables de l’Ontario.
322 J’ai été impressionné par la candeur d’Aide juridique Ontario ainsi que par sa volonté d’accepter la responsabilité de ses erreurs d’administration et de passer rapidement à l’action pour remédier aux problèmes systémiques exposés par mon enquête. Mais le jour où cette réponse modèle d’AJO m’est parvenue, j’ai été déçu de recevoir une missive nettement moins constructive du ministère du Procureur général.
323 Au lieu de répondre par des renseignements concrets sur les mesures qu’il a l’intention de prendre en vue d’appliquer les recommandations que j’ai faites au Ministère et au Gouvernement, la missive du sous-ministre s’est avérée plutôt superficielle. C’était en grande mesure un énoncé d’intention de répondre dans un avenir non déterminé. J’ai été avisé en ces termes :
Nous avons pleinement l’intention de répondre aux recommandations adressées au Ministère et au gouvernement et j’ai le plaisir de décrire certaines des mesures que nous avons déjà prises.
324 Le Ministère a passé un temps considérable à expliquer ce qu’il avait l’intention de faire pour que le protocole élaboré avec AJO progresse, et comment il avait l’intention de travailler avec AJO pour améliorer la Gestion des causes majeures. Néanmoins, sa réponse à mes recommandations précises s’est révélée peu étoffée. Elle disait ceci :
En ce qui concerne vos recommandations au Ministère et au gouvernement à propos des points suivants :
-
possibilité d’une évaluation indépendante des comptes de la défense dans l’affaire Wills (Rec. 3)
-
potentiel de récupérer les fonds publics (Rec. 4)
-
codification du protocole dans la loi (Rec. 6)
-
loi qui limiterait la capacité d’un particulier à se défaire de biens afin de devenir admissible à une aide juridique financée par l’État (Rec. 7)
je tiens à vous assurer que toutes ces questions font activement l’objet d’une considération du Ministère depuis un certain temps déjà. Nous vous sommes reconnaissants de vos points de vue et de vos opinions sur ces domaines importants et, comme vous l’avez recommandé, nous vous tiendrons informé de nos décisions (Rec. 5 et 8)….
Nous avons aussi pris connaissance des autres idées et suggestions présentées dans votre ébauche de rapport et nous les apprécions, et bien qu’elles ne fassent pas partie de vos recommandations officielles, nous les considérerons également….
Pour conclure, j’aimerais vous assurer que le Ministère est confiant que les processus maintenant en place permettront d’assurer la supervision efficace voulue par le public quant aux dépenses de fonds publics. Nous apporterons d’autres améliorations et d’autres perfectionnements, et nous vous aviserons des progrès que nous continuerons de faire avec AJO.
325 La lecture de la réponse du Ministère m’a donné distinctement l’impression que je me faisais bel et bien éconduire. Bien que le Ministère ait indiqué qu’il avait l’intention de demander une évaluation des comptes juridiques et de tenter de recouvrer les fonds publics consacrés à la défense de M. Wills, il n’a aucunement dit s’il comptait mettre en oeuvre mes recommandations quant à un changement de loi. Au contraire, le Ministère semble plutôt satisfait « des processus actuellement en place ».
326 Je ne partage pas la confiance que fait le Ministère à son nouveau protocole avec Aide juridique Ontario en tant que solution aux problèmes systémiques qui sont ressortis de l’affaire Wills. J’incite le Ministère et le Gouvernement à considérer sérieusement le schéma d’ensemble que j’ai recommandé quant au financement sur ordonnance judiciaire des avocats, et à présenter une mesure législative permettant de recouvrer les fonds dans les circonstances où il y a eu apparemment des abus du système d’aide juridique. Je m’inquiète de l’absence d’un sentiment d’urgence ou de nécessité de la part du Ministère face à ces recommandations. Au lieu de me donner des renseignements de fond sur ses prochaines mesures, le Ministère n’a fait que de vagues références à des décisions qui seront prises à l’avenir.
327 Le Ministère s’est engagé à me faire rapport de ses progrès dans la mise en œuvre de mes recommandations dans six mois. Je déterminerai alors s’il a pris des mesures tangibles en vue d’améliorations qui, je le crois, sont nécessaires afin de mettre en place un système complet, avec obligation redditionnelle, pour gérer le financement sur ordonnance judiciaire des avocats et pour traiter les cas d’abus d’aide juridique dans cette province.
______________________
André Marin
Ombudsman de l’Ontario
[1] Quand il s’est avéré qu’il était fort peu probable que M. Wills vive son procès sans limoger son avocat et sans mettre tout le processus en péril, le juge Shaughnessy a nommé M. Howard Borenstein en tant qu’amicus curiae pour la durée du procès, alors que les services de l’avocat de M. Wills étaient financés par l’État. Avant la fin du procès, M. Borenstein a été nommé à la magistrature et a été remplacé par M. Schreck.
[2] La juge s’est également inquiétée de la terrible atteinte à la dignité et de la violation des limites légales de communication des documents d’enquête criminelle qui était survenue par voie de divulgation.
[3] Voir R. v. Campbell, [1999] O.J. No. 392 au para. 24 (Ont. Ct. Gen. Div.)
[4] Voir R. v. Rowbotham, (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 à 69 (C.A. Ont.) [ci-après Rowbotham]. Voir aussi R. v. Stiopu (1983), 8 C.R.R. 216 à 233 (Alta Q.B.), aff’d 8 C.R.R. 217 (Alta. C.A.); Deutsch v. Law Society of Upper Canada Legal Aid Fund, Lawson and Legge (1985), 48 C.R. (3d) 166 à 171 (Ont. Div. Ct.) [ci-après Deutsch]; Re Ewing and Kearney and The Queen (1974), 18 C.C.C. (2d) 356 à 360 (B.C.C.A.).
[5] Pour un historique plus complet de la fondation d’Aide juridique Ontario, voir Ontario, Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletReport of the Ontario Legal Aid Review: A blueprint for publicly funded legal services (Toronto : Publications Ontario, 1997) (Président : J.D. McCamus), en ligne : ministère du Procureur général (consulté le 21 décembre 2007) [ci-après McCamus Review]. Le rapport McCamus Review a commencé en 1996 et a été publié en septembre 1997.
[6] Ibidem, page 21.
[7] En ligne : Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletAide juridique Ontario (date de consultation : 21 décembre 2007).
[8] En ligne : Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletAide juridique Ontario (date de consultation : 21 décembre 2007).
[9] En 1999, certaines dispositions générales relatives au programme de Gestion des causes majeures ont été énoncées dans le Règl. de l’Ont. 107/99.
[10] Para. 5 (6), Règl. de l’Ont. 107/99.
[11] Para. 5 (7), Règl. de l’Ont. 107/99.
[12] Para. 5 (8), Règl. de l’Ont. 107/99.
[13] Rowbotham, ci-dessus note 4.
[14] Deutsch, ci-dessus note 4 à 173-4.
[15] Cette affaire a été suivie dans presque toutes les provinces et tous les territoires, voir par exemple : Québec (Procureur général) c. Marchand, [2007] J.Q. no. 12159, en ligne : QL; R. v. Caron, [2007] A.J. No. 449 (Alta. Q.B.), en ligne : QL; R. v. Fouriner, [2006] O.J. No. 2434 (Ont. C.A.), en ligne : QL; R. c. Doiron, [2004] N.B.J. No. 344 (N.B.C.A.), en ligne : QL; R. v. Grant, [2003] B.C.J. No. 1866 (B.C.S.C.), en ligne : QL; R. v. Innocente, [2002] N.S.J. No. 225 (N.S.S.C.), en ligne : Q.L.; R. v. Rooney, [1994] P.E.I.J. No. 121 (P.E.I.S.C. (T.D.), en ligne : QL; R. v. Waren, [1994] N.W.T.J. No. 93 (N.W.T.S.C.), en ligne : Q.L., R. c. Rodrigue, [1994] Y.J. No. 113 (Y.K.S.C.), en ligne : QL; Spellacy v. Newfoundland, [1991] N.J. No. 228 (Nfld. S.C. (T.D.), en ligne : QL; R. v. Hotomanie [1988] S.J. No. 241 (Sask. C.A.), en ligne : QL.
[16] [1997] S.J. No. 530, (Sask. Q.B.), en ligne : QL [ci-après Fisher].
[17] Ce faisant, le tribunal a indiqué qu’il suivait la décision de R. v. Curragh, (1997), 113 C.C.C. (3d) 481 (S.C.C.), déterminant que dans des circonstances où une grande partie des frais juridiques d’un accusé résultent des mots et de la conduite du juge qui ont suscité une crainte de partialité, les frais juridiques raisonnables de l’accusé pour la procédure précédente et pour le nouveau procès devraient être payés par l’État.
[18] G.G. Mitchell, “Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletThe Right to State-Funded counsel in the Criminal Context: Emerging Issues on an evolving entitlement – A Discussion Paper”, en ligne : Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada (date de consultation : 21 décembre 2007) à 19, faisant référence à R. v. Fok, [2000] A.J. No. 1182 (Alberta Q.B.); R. v. Rooney, [1994] P.E.I.J. No. 121 (S.C. (T.D.), et R. v. Gero, [2002] O.J. No. 3409 (Ont. Sup. Ct.).
[19] (2004) 185 C.C.C. (3d) 352 (Ont. C.A.).
[20] Voir par exemple Maranda v. Richer, [2003] S.C.J. No. 69, la Cour suprême du Canada a considéré que le montant des frais payés à un avocat est généralement protégé par le secret professionnel de l’avocat. La Cour a reconnu la présomption qu’une telle information s’inscrit prima facie dans cette catégorie de confidentialité.
[21] Nous n’avons pas été en mesure d’obtenir de renseignements à propos du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard au moment de ce rapport.
[22] Factum de la défense, para. 7, Her Majesty the Queen and Richard Wills, Cour supérieure de justice.
[23] M. Hamalengwa est noir et les autres avocats mentionnés sont blancs. En ce qui concerne Mme Wasser, signalons qu’elle a été renvoyée avant de pouvoir régler le budget qu’elle avait accepté de présenter. Quant à M. Borenstein, précisons qu’il était avocat pour le tribunal et non pour M. Wills.
[24] M. Hamalengwa a encore un compte en souffrance, pour un total supplémentaire de 92 038,56 $, qu’il affirme ne pas avoir perçu.
[25] Voir art.7, Loi sur la preuve au Canada.
[26] Ibidem affidavit de Kerry Lee Thompson aux para. 39, 40
[27] Par exemple, les Conventions de stage du Barreau du Haut-Canada font référence au « stagiaire » et à son « directeur de stage ». Les stagiaires sont régis par le Ce lien s’ouvre dans un nouvel ongletBarreau du Haut-Canada, dans le cadre de son programme de licence.
[28] M. Viater a fait savoir à notre bureau qu’il ne s’était jamais présenté durant la procédure comme un stagiaire en droit, et qu’il était très conscient de la distinction entre un étudiant en droit – ce qu’il était quand il s’est joint à l’équipe de la défense en janvier 2006 – et un stagiaire en droit. Mais ce n’était pas la première fois que M. Viater avait des démêlés avec la juge Fuerst. Auparavant, alors qu’elle avait déclaré le 1er juin 2007 qu’il n’était plus autorisé à s’asseoir à la table des avocats, elle l’avait réprimandé à deux reprises parce qu’il avait quitté son siège et s’était approché de l’avocat de la Couronne ou d’un représentant des services judiciaires pour essayer de leur parler pendant une séance du tribunal. De plus, on l’avait vu parler à M. Wills alors que la juge Fuerst avait donné pour instructions que M. Wills devait rester silencieux. M. Viater avait également enfreint les règles des visites professionnelles en amenant les enfants de M. Wills dans la partie des cellules du tribunal où les avocats peuvent parler à leurs clients sous garde, et ceci sans permission. Le 31 mai 2007, alors qu’il était à la table des avocats, M. Viater avait affiché sur son écran d’ordinateur en très grosses lettres un message qui disait approximativement ceci : « Si la presse a des questions, on peut y répondre. » De plus, M. Viater avait approché une journaliste et lui avait proposé de transmettre des messages entre elle et M. Wills.
[29] Jusqu’à présent, aucun des trois avocats nommés n’a présenté de facturation pour le travail effectué.
[30] Le juge Shaughnessy faisait probablement référence à la lettre adressée par le directeur de la Gestion des causes majeures à Mme Thompson le 21 août 2006.
[31] Je ne considérerai pas ici si la faute revient à l’un ou l’autre des avocats, car telle n’est pas ma fonction. Il est regrettable que ce rapport puisse entacher par simple association les avocats qui s’acquittent de leurs tâches de manière professionnelle et responsable. Malheureusement, je ne peux pas identifier ici ceux qui ont fait honneur, je crois, aux plus méritoires des traditions du Barreau sans souiller par exclusion les réputations de ceux que je ne nommerais pas.
[32] Il ne devrait pas être nécessaire de taxer les comptes Wasser, car les services de cette avocate, et ceux de sa coavocate, étaient fondés sur un examen initial approuvé par le tribunal, avant la mise en oeuvre de l’ordonnance du juge Shaughnessy du 6 juin 2006 par Aide juridique Ontario.
[33] Bank of Nova Scotia v. Holland, [1979] O.J. No. 1190, Cour suprême de l’Ontario.
[34] Genereux v. Carlstrom, [2002] O.J. No. 1841, Cour supérieure de justice de l’Ontario, [2003] O.J. No. 356, Cour d’appel de l’Ontario, mais voir Ottawa Wine Vaults Co. v. McGuire (1912) , D.L.R. 81 (Cour d’appel de l’Ontario), confirmé 13 D.L.R. 81 (S.C.C.), déclarant qu’une cession volontaire faite dans l’intention de contrer des créanciers futurs uniquement relève de la loi et ne peut être écartée.